Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 306.
1. De la division naturelle du travail à la division du travail au sein de la famille :
Dans le dialogue nommé L’Économique de Xénophon, qui est le premier texte que nous avons examiné, Ischomaque explique que la raison pour laquelle il est appelé un homme bien (καλός κάγαθός) est l’accroissement de sa propriété (οίκος) et la raison en est la répartition des travaux entre lui et sa femme. En d’autres termes, il est possible que nous trouvions des traces de division du travail dans la maison d’Ischomaque et interprétions cette situation comme une sorte de la division du travail. Ischomaque déclare que puisque sa femme est capable de diriger les affaires domestiques, il n’est pas toujours obligé de rester à la maison et sa femme l’apprend par l’éducation. Dans la partie où Ischomaque explique la formation de sa femme dans le dialogue, nous trouvons les arguments suivants : d’une certaine manière, cette formation est la transmission de la tradition familiale basée sur l’accroissement de leur maison (propriété: οίκος). Le rôle de sa femme dans cet accroissement est déterminé par les travaux approuvés par la coutume et ceux pour lesquels elle est naturellement douée par les dieux. Il existe deux principes de base pour ces travaux : le premier, est de faire de son mieux, ensuite, le principe selon lequel les travaux ne devraient pas avoir plus d’importance que l’autre. Les dieux rassemblent les hommes et les femmes pour former un partenariat mutuellement parfait à cause des trois raisons principales : la reproduction pour la continuation de la race humaine, deuxièmement, quand les gens vieillissent, ces enfants prennent soin d’eux-mêmes, et troisièmement, ils ont besoin d’un abri parce que les hommes ne peuvent pas vivre en plein air comme les animaux. De plus, dans cet abri, la nourriture collectée est protégée, les nouveau-nés sont nourris, la farine est préparée à partir de céréales, les vêtements sont en laine. Les travaux commencent à se diviser comme ceux de l’intérieur et ceux de l’extérieur (ἔργων […] τά […] ἔνδον καὶ τὰ ἔξω) à partir de cette nécessité de l’abri (στεγνόν). Donc, les travaux intérieurs et extérieurs sont adaptés à la nature de la femme et de l’homme par la divinité. Plus tard, Ischomaque explique quelle est
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la nature de l’homme et de la femme, pourquoi ils sont adaptés à ces travaux et comment il est plus avantageux pour eux de s’unir en couple en raison de leurs dispositions naturelles différentes.
Dans l’analyse de ce texte, nous avons auparavant déterminé trois points essentiels qui nous semblent importants par rapport à notre sujet. Le premier point est la circonstance qui nous permet d’interpréter le thème principal du dialogue comme l’art de la gestion. Depuis le tout début, Xénophon ne fait pas intervenir des travaux elles-mêmes ; ce dont il parle c’est la gestion des travaux et en ce sens, c’est le domaine de responsabilité attribué à sa femme ou à lui-même. Le deuxième point est l’une des trois raisons pour l’accouplement divin des hommes et des femmes. Dans les deux premières (la survie de la race humaine et le secours dans la vieillesse), la relation est entre les hommes. La troisième raison, la nécessité d’abri, est liée à une autre chose qu’à l’homme. Partant de cette nécessité de l’espace intérieur, les travaux commencent à se diviser en intérieur et en extérieur. Troisièmement et finalement, la détermination des limites qui précisent où est l’intérieur ou l’extérieur. Nous avons déjà accentué la distinction οίκος et οἰκίᾳ.82 C’est tellement évident que les champs sont inclus dans la propriété (οίκος), donc, l’extérieur se réfère à l’extérieur de l’habitation (οἰκίᾳ), non la maison (οίκος), et nous n’avons donc rien à ajouter maintenant à notre analyse.
Nous avons expliqué ces trois points décisifs pour notre interprétation du traitement de la division du travail dans le texte de L’Économique de Xénophon. Pour le premier point, il faut dire que nous ne considérons pas ce texte de Xénophon comme une étude éthique comme Moses Finley, qui était spécialiste sur l’économie de la Grèce antique, surtout dans la Grèce antique. Dans son livre The Ancient Economy, qui contient son argument principal que l’économie dans les temps anciens est régie par le statut et l’idéologie civique plutôt que par des motivations économiques rationnelles, il prétend qu’il n’y a pas une seule phrase qui contienne un principe ou une analyse économique.83
82 Cette distinction est contextuelle, par exemple, Aristote utilise indifféremment oikia (« maison », « habitation ») et oikos (« maison », « la propriété » et « la famille ») (EN VIII.10 : 1160b24, X.9 : 1180b4 ; Pol. I. 2. 1252a13, b17, 1253b6, etc., avec Pol I.7 : 1255b20, II.6 : 1265b13)
83 « In Xenophon, however, there is not one sentence that expresses an economic principle or offers any economic analysis, nothing on efficiency
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 308.
Et il ajoute la note suivante : « Les traductions peuvent facilement induire en erreur. La meilleure est la version française d’Oikonomikos (Paris 1949) dans la série Bude de P. Chantraine. »84 Nous avons aussi suivi cette traduction dans cette étude. Considérant que Moses Finley évaluait des traductions en 1973, nous pouvons être d’accord avec ce qu’il a dit à propos de la traduction ; cependant, pour aujourd’hui, nous pensons que la traduction anglaise par Sarah Pomeroy, publiée en 1994, est beaucoup plus attentive. Par exemple, la traduction de Pomeroy contient la distinction οίκος et οἰκίᾳ, que nous l’avons auparavant examinée, contrairement à la traduction par Chantraine. Dans son œuvre, qui comprend ses notes et commentaires ainsi que cette traduction, Pomeroy déclare que Finley a inculqué les définitions économiques modernes de J. A. Schumpeter dans la Grèce antique, attribuant ainsi injustement les échecs des érudits classiques aux écrivains antiques. Contrairement à Finley, elle mentionne Xénophon comme « le premier économiste grec ». Selon Pomeroy, Xénophon fait un effort exceptionnel pour définir les mots comme οίκος, οἰκονομία, χρήματα particulièrement dans la première partie du dialogue. Selon Pomeroy, Marx avait une meilleure opinion de Xénophon que Finley, dans Le Capital, il commente cela dans le texte qu’il a cité de la Cyropédie.85 Nous pouvons dire que nous sommes tout à fait d’accord avec Pomeroy sur cette question également ; cependant, avec la note suivante, Marx et Engels n’ont fait référence à L’Économique de Xénophon dans aucun de leurs textes publiés.86 Nous reviendrons sur ce sujet dans un instant.
Nous avons mentionné précédemment pourquoi et comment nous avons déterminé le thème principal du dialogue comme « l’art de gestion » et nous avons même dit qu’il est devenu une question politique.
of production, « rational » choice, the marketing of crops. »
Moses Finley, The Ancient Economy, Berkeley : University of Californina Press, 1973, p. 19.
84 « Translations can easily mislead. The best is in French, by P. Chantraine in his edition of the Oikonomikos in the Bude series (Paris 1949) »
Moses Finley, The Ancient Economy…, p. 211.
85 Xénophon, Oeconomicus, A Social and Historical Commentary, trad. par Sarah B. Pomeroy, Oxford : Clarendon Press, 1994, pp. 42-43.
86 Cyropédie et Des Revenus, ces sont les deux œuvres de Xénophon auxquelles Marx et Engels se réfèrent.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 309.
Michel Foucault, dans L’Histoire de la sexualité, inclut l’analyse de ce texte dans un chapitre intitulé « La Maisonnée d’Ischomaque »87. Dans ce chapitre, Foucault se focalise sur la relation entre le mari et la femme, comme le titre de son livre l’indique ; cependant, ce chapitre contient aussi une analyse générale de l’Economique de Xénophon. Cette analyse est celle que nous trouvons la plus proche de nous. Dans le commencement de ce chapitre, Foucault prétend que « l’art de commander » est le thème « qui revient le plus souvent tout au long du texte ».88 Il explique cela, dans ce chapitre, par le mariage et la relation de mari-femme. Mais notre justification de cette détermination est liée à l’objet de cet art, à savoir l’objet principal de l’art de la gestion qui est le travail. Nous examinons tant le thème de ce dialogue, parce que cette détermination est directement liée à notre sujet qui est la division du travail. Par suite de notre précédente analyse détaillée, la responsabilité de la gestion, et non les travaux eux-mêmes, est répartie entre le mari et la femme. Xénophon n’utilise jamais la forme plurielle du mot « femme » en ce qui concerne l’attribution des travaux ; il s’adresse toujours à sa propre femme. Si les phrases qui pourraient interpréter qu’il attribuait à sa femme un travail autre que la gestion, par exemple les énoncés suivants « mouiller la pâte et à la pétrir, à secouer et à pincer les vêtements et les couvertures »89 ont analysées attentivement, on peut comprendre qu’Ischomaque les nomme comme un exercice (γυμνάσιον), pas comme un travail (ἔργον). Foucault détermine attentivement, parce qu’il se concentre sur la relation entre mari-femme ; selon lui, ces exercices sont liés à la question que la jeune femme d’Ischomaque a lui posée : « comment la femme peut-elle rester un objet de désir pour son mari, comment peut-elle être sûre de n’être supplantée un jour par une autre, plus jeune et plus jolie ? »90 et la réponse d’Ischomaque est bien étrange comme le promulgue Foucault:
Et d’une manière qui peut nous paraître étrange, c’est encore la maison et le gouvernement de la maison qui vont être le point décisif. En tout cas, la beauté réelle de la femme est, d’après Is-
87 Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, pp. 169-183.
88 Ibid., p.169.
89 Xénophon, Économique…, X.11, p. 78.
90 Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, p. 180.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 310.
chomaque, suffisamment assurée par ses occupations ménagères si elle les accomplit comme il faut.91
Ainsi, en dernière analyse du premier point, ne s’occuper que d’un seul travail pour lequel on est naturellement doué c’est le moyen le plus efficace d’accroissement de la propriété. Pour le mari et la femme, c’est la gestion des travaux respectivement extérieurs et intérieurs.92 L’accent est mis sur le verbe ἐπιμελεῖσθαι dans la phrase suivante qui explique cet argument principal : τῇ μὲν γὰρ γυναικὶ κάλλιον ἔνδον μένειν ἢ θυραυλεῖν, τῷ δὲ ἀνδρὶ αἴσχιον ἔνδον μένειν ἢ τῶν ἔξω ἐπιμελεῖσθαι. La traduction de Chantraine : « Pour la femme, il est plus convenable de rester à la maison que de passer son temps dehors, et il l’est moins pour l’homme de rester à la maison que de s’occuper des travaux à l’extérieur. »93 Dans ce contexte, le verbe ἐπιμελεῖσθαι signifie plutôt « être chargé de, diriger, commander ».94
91 Foucault continue son explication comme suite :
« En effet, il explique qu’en exécutant les tâches de sa responsabilité, elle ne restera pas assise, tassée sur elle-même comme une esclave, ou oisive comme une coquette. Elle se tiendra debout, elle surveillera, elle contrôlera, elle ira de chambre en chambre vérifier le travail qui s’effectue ; la station droite, la marche donneront à son corps cette façon de se tenir, cette allure qui, aux yeux des Grecs, caractérisent la plastique de l’individu libre (plus loin Ischomaque montrera que l’homme forme sa vigueur de soldat et de citoyen libre par sa participation active aux responsabilités d’un maître de travaux). De la même façon, il est bon pour la maîtresse de maison de pétrir la farine, de secouer et de ranger les vêtements ou les couvertures. Ainsi se forme et se maintient la beauté du corps… »
Ibid.
92 τῇ μὲν γὰρ γυναικὶ κάλλιον ἔνδον μένειν ἢ θυραυλεῖν, τῷ δὲ ἀνδρὶ αἴσχιον ἔνδον μένειν ἢ τῶν ἔξω ἐπιμελεῖσθαι.
Pour la femme, il est plus convenable de rester à la maison que de passer son temps dehors, et il l’est moins pour l’homme de rester à la maison que de s’occuper des travaux à l’extérieur.
Xénophon, Économique…, VII.30, p. 64.
93 Ibid.
94 La note de Pomeroy sur la traduction liée à ce verbe :
« Some abstract words whose importance is emphasized in the commentary are usually represented by the same English word throughout the translation so that their repeated appearances may be located by the Greekless reader. For example, one of the principal themes in the Oeconomicusis the art of ruling : those in a supervisory position are obliged to be concerned about their bodies, their possessions, their subordinates, their families, friends, cities, and gods. To alert the reader to this persistent theme, compounds in ἐπιμελ- usually translated by some variant of ‘concern’. Where the suffix
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 311.
Pour notre deuxième point essentiel, nous commençons aussi par une citation de Foucault : « Pour définir les fonctions respectives des deux époux dans la maisonnée, Xénophon part de la notion d’ « abri » (stegos) »95 vraisemblablement, si Foucault avait écrit l’histoire de la division du travail , au lieu de l’histoire de la sexualité ; il s’y serait focalisé sur ces fonctions . Selon Foucault, « au premier regard, la descendance donne à la famille sa dimension temporelle et l’abri son organisation spatiale. Mais les choses sont un peu plus complexes. »96 Notre interprétation ne contient pas la temporalité et la spatialité ; les deux premiers sont liés à la relation directe entre les humains ; le troisième est une nécessité d’abri qui n’est pas la division du travail. Pour cette raison, cette dernière n’est pas une relation directe comme les deux premières, mais une relation indirecte, et une relation s’établit avec une propriété inanimée, cela cause d’une relation médiatisée. Et les travaux se divisent en intérieur et extérieur, à partir de l’abri c’est-à-dire le besoin de cet espace fermé qui cause d’une relation médiatisée. Les travaux répartis selon leur lieu et la gestion de ces travaux sont attribués au mari et à la femme par rapport à leur nature. L’idée que certains types des travaux conviennent aux hommes et certains travaux aux femmes, même si nous soulignons qu’ils sont les exercices plutôt que des travaux pour Ischomaque et sa femme,97 elle est également ouverte à l’interprétation en tant que les travaux eux-mêmes sont attribués aux hommes et aux femmes98. S’ils sont interprétés de cette
-ἰκός appears it is usually rendered by ‘skilled in’. Consistency has not been elevated to a principle at the expense of meaning. »
Xenophon, Oeconomicus, A Social and Historical Commentary, p. 99.
95 « Le « toit » détermine bien une région extérieure et une région intérieure, dont l’une relève de l’homme, l’autre constitue le lieu privilégié de la femme ; mais il est aussi le lieu où on rassemble, accumule et conserve ce qui a été acquis ; abriter, c’est prévoir pour distribuer dans le temps selon les moments opportuns. »
Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, p. 174.
96 Ibid.
97 Xénophon, Économique…, VII.20-21-22, p. 62-63.
98 « Dehors, on aura donc l’homme qui sème, cultive, laboure, élève les troupeaux ; il ramène à la mai-son ce qu’il a produit, gagné ou échangé ; au-dedans, la femme, elle, reçoit, conserve et attribue au gré des besoins…Les deux rôles sont exactement complémentaires et l’absence de l’un rendrait l’autre inutile : « Qu’aurais-je à conserver, dit la femme, si tu n’étais pas là pour prendre soin de faire rentrer quelques provisions du dehors ?» ; à quoi l’époux répond : si personne n’était là pour conserver ce qui est ramené à la
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 312.
manière, les esclaves doivent avoir des sexes autres que la reproduction. Les esclaves domestiques mâles ne doivent pas travailler dans la maison d’Ischomaque. Cela peut relancer la discussion sur l’intérieur et l’extérieur, par exemple, à qui faut-il attribuer les travaux à effectuer dans la cour. À l’égard de la division du travail, le principe selon lequel certains travaux sont attribués aux hommes par nature et d’autres aux femmes, rend possible d’une lecture de ce texte par rapport à la division sexuée du travail dans un sens contemporain. Nous sommes fort discrets 99 sur la question de ce type division du travail, parce que nous pensons qu’il est plus juste que les écrivaines analysent ce sujet.
Il peut y avoir de nombreuses raisons internes et externes pour lesquelles Marx et Engels ne réfèrent pas à ce texte de Xénophon, cependant, nous ne pensons pas que la comparaison, la recherche de références implicites ou l’établissement d’une relation rétrospective sera problématique sur le plan d’histoire de la philosophie ou de philosophie, à moins que ce ne soit forcé ou anachronique et que la base soit correctement établie.
Dans leurs œuvres, Marx et Engels mentionnent les différents types de division du travail selon le contexte. Il n’est pas vrai de dire qu’il existe une distinction catégorique entre ces types de division du travail. Mais il existe des différences qualitatives et fondamentales ; ils peuvent manifester des caractéristiques différentes ; dans l’introduction de la conclusion partie avant sur ce sujet ; nous avons analysé la distinction essentielle de la division manufacturière du travail et la division sociale
maison, «je serais comme ces gens ridicules qui versent de l’eau dans une jarre sans fond ». Deux lieux, donc, deux formes d’activité, deux façons aussi d’organiser le temps : d’un côté (celui de l’homme), la production, le rythme des saisons, l’attente des récoltes, le moment opportun à respecter et prévoir ; de l’autre (celui de la femme), la conservation et la dépense, la mise en ordre et la distribution quand c’est nécessaire, et le rangement surtout : sur les techniques de rangement dans l’espace de la maison »
Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, pp. 174-175.
99 Notre décision est évidemment politique, puisque notre raison est complètement l’inverse, cela semble une approche similaire de la conception de Xénophon, mais Comme le promulgue Foucault : « ce texte, si détaillé quand il faut fixer la répartition des tâches dans la maison, est fort discret sur la question des rapports sexuels. »
Ibid., p. 177.
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du travail qui peut aussi considérer en deux types différents comme la division du travail en général100 et la division du travail en particulier101.
Les différents types de division du travail ont émergé aux différentes périodes historiques ; cela ne signifie pas qu’ils ne coexistent pas dans la même période historique. Quand nous avons inférés le modèle des œuvres de jeunesse de Marx et Engels, nous avons résumé cela comme suit : A chaque stade de développement de la division du travail correspond une forme différente de propriété. Chaque nouveau stade de la division du travail détermine également les rapports des individus entre eux pour ce qui est de la matière, des instruments et des produits du travail.102 Engels examine les stades de développements historiques de la division du travail, dans le chapitre intitulé « Barbarie et civilisation »103 de son œuvre L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Dans l’introduction de cet ouvrage, il considère les étapes de la civilisation préhistorique comme deux périodes séquentielles comme l’état sauvage et la barbarie, et celles-ci sont également examinées comme des stades inférieurs, moyens, supérieurs en elles-mêmes.104 Selon Engels, « l’apogée du stade supérieur de la barbarie se présente à nous dans les poèmes homériques, en particulier dans L’ lliade »105 et l’épopée d’Homère et toute la mythologie contiennent l’héritage que les
100 « on peut qualifier la séparation de la production sociale en ses grands genres principaux (l’agriculture, l’industrie, etc.) de division du travail en général » (Teilung der Arbeit im allgemeinen)
Karl Marx, Le Capital…, p. 395.
101 « la partition de ces genres principaux en espèces et sous-espèces, de division du travail en particulier »(Teilung der Arbeit im besonderen)
Ibid.
102 Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande…, p. 47.
103 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, pp. 334-356.
104 « Etat sauvage : Période où prédomine l’appropriation de produits naturels tout faits ; les productions artificielles de l’homme sont essentiellement des outils aidant à cette appropriation. Barbarie : Période de l’élevage du bétail, de l’agriculture, de l’apprentissage de méthodes qui permettent une production accrue de produits naturels grâce à l’activité humaine. Civilisation : Période où l’homme apprend l’élaboration supplémentaire de produits naturels, période de l’industrie proprement dite, et de l’art. »
Ibid., pp. 196-202
105 Ibid., p. 201.
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Grecs ont hérité de la barbarie lors de leur passage à la civilisation.106 Dans le chapitre suivant107, Engels examine l’origine de la famille et des « rapports sexuels sans entraves »108. Les formes de mariage suivantes se sont développées historiquement à partir de « cet état primitif du commerce sexuel sans règles »109: la famille consanguine qui est la première étape de la famille110, la famille punaluenne111, la famille appariée112 et enfin, la famille monogamique113. La famille, qui englobe à l’origine toute la tribu, se rétrécit progressivement et elle évolue vers un mariage entre les deux sexes. Alors que l’interdiction de l’inceste continue de s’étendre, les interdictions de mariage deviennent de plus en plus complexes et irréalisables, donc la famille appariée émerge. La famille monogamique, d’autre part, naît de la famille appariée dans la
106 Ibid., pp. 201-202.
107 Le titre de ce chapitre est “La famille”
Ibid., pp. 202-258.
108 Ibid., p. 206.
« Qu’entend-on par « commerce sexuel sans entraves » ? On veut dire que les interdictions limitatives, en vigueur de nos jours ou dans une période antérieure, n’avaient point cours. Nous avons déjà vu tomber la barrière de la jalousie. Si une chose est sûre, c’est bien que la jalousie est un sentiment qui s’est développé relativement tard. Il en va de même pour la notion d’inceste. Non seulement, à l’époque primitive, le frère et la sœur étaient mari et femme, mais de nos jours encore les rapports sexuels entre parents et enfants sont permis chez de nombreux peuples. »
Ibid., p. 210.
109 Ibid., p. 211.
« Quant à l ‘ autre stade social primitif, en supposant qu’il ait vraiment existé, il appartient à une époque. s i reculée que nous ne pouvons guère nous attendre à trouver chez des fossiles sociaux, chez des sauvages arriérés, des preuves directes de son ancienne existence. »
Ibid., p. 206.
110 Ibid., p. 212.
111 « une série de frères utérins ou plus éloignés possédaient en mariage commun un certain nombre de femmes, qui n’étaient point leurs sœurs, et ces femmes se nommaient entre elles Punalua…. »
Ibid., 212-213
112 « Dans cette complication croissante des interdictions de mariage, les mariages par groupe devenaient de plus en plus irréalisables ; ils furent supplantés par la famille appariée. »
Ibid., p. 221.
113 « Elle est fondée sur la domination de l’homme, avec le but exprès de procréer des enfants d’une paternité incontestée… »
Ibid., p. 236.
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période entre les stades moyens et supérieurs de la barbarie, et la victoire finale de la forme familiale monogamique est l’un des signes du début de la civilisation.114 Et cette nouvelle forme se manifeste sévèrement dans la société des Grecs. Exprimant qu’il cite ceci de Marx, Engels indique que les récits mythologiques de déesse contiennent les traces d’une époque antérieure où les femmes étaient plus libres et respectées. Mais dès l’époque héroïque, les femmes commencent à être humiliées à cause de la domination masculine et de la concurrence parmi les esclaves. La femme grecque de cette époque « n’est pour l’homme que la mère de ses héritiers légitimes, la gouvernante suprême de la maison et la surveillante des femmes esclaves dont il peut faire et fait à son gré ses concubines. »115Après avoir donné des exemples de textes grecs anciens sur ce sujet,116 Engels mentionne la distinction entre Doriens (son exemple est Sparte) et Ioniens (son exemple est Athènes) pour les Grecs à l’époque tardive. Il examine ces deux en déclarant que la position de la femme est différente. À Athènes, contrairement à Sparte, le statut de la femme devient nettement secondaire. Les jeunes filles n’avaient que la possibilité d’apprendre à filer, tisser et coudre et elles étaient peu susceptibles d’être alphabétisées. « Elles étaient pour ainsi dire cloîtrées et ne fréquentaient que d’autres femmes. »117 Il y a un appartement qui appartient seulement aux femmes dans la maison, à savoir le gynécée qui était complètement isolé. Il s’est situé à l’étage supérieur ou l’arrière de l’habitation, pour empêcher l’accès aux
114 Ibid.
115 Ibid., p. 237.
116 Qu’on lise plutôt, dans L’Odyssée, comme Télémaque tance sa mère et lui impose silence. Dans Homère, les jeunes femmes capturées sont livrées au bon caprice sensuel des vainqueurs ; chacun à leur tour, dans l ‘ ordre hiérarchique, les chefs choisissent les plus belles ; on sait que toute L’Iliade gravite autour d ‘une querelle entre Achille et Agamemnon, à propos d’une de ces esclaves. Pour chaque héros homérique de quelque importance, on mentionne la jeune captive avec qui il partage sa tente et son lit. Le vainqueur emmène ces jeunes filles au pays et à la maison conjugale : c’est ainsi que, dans Eschyle, Agamemnon emmène Cassandre ; les fils nés de ces esclaves reçoivent une petite part de l’héritage paternel et sont considérés comme des hommes libres ; ainsi Teucer, fils illégitime de Télamon, a le droit de porter le nom de son père. On estime que la femme légitime doit supporter tout cela, mais qu’elle doit observer elle-même strictement la chasteté et la fidélité conjugale.
Ibid.
117 Ibid., p. 238.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 316.
hommes étrangers, surtout pendant les visites masculines à la maison. Il s’est situé à l’étage supérieur ou l’arrière de l’habitation, pour empêcher l’accès aux hommes étrangers, surtout pendant les visites masculines à la maison. Les femmes pourraient sortir seulement dans la condition ou une esclave les accompagnait et dans la maison, « elles étaient placées sous une surveillance effective »118. Par exemple, « dans Euripide, la femme est qualifiée d’oikourema, « objet pour l’entretien du ménage » (le mot est neutre) et, mis à part le soin de procréer – des enfants, elle n’était pour l’Athénien que la servante principale. »119 Engels conclut la question sur la situation sociale des femmes à Athènes en déclarant l’exclusion des femmes des débats publics et des exercices gymniques. En conclusion, ce modèle familial athénien est devenu l’exemple des relations domestiques de tous les Grecs en partant les Ioniens. Selon Engels, telle est « l’origine de la monogamie », pour autant qu’il puisse l’étudier « chez le peuple le plus civilisé et le plus développé de l’Antiquité ».120 La famille monogamique n’était pas le produit de l’amour sexuel individuel, « puisque les mariages restèrent, comme par le passé, des mariages de convenance ».121 Mais c’est la première forme de famille fondée « non sur des conditions naturelles, mais sur des conditions économiques à savoir : la victoire de la propriété privée sur la propriété commune primitive et spontanée. »122 La domination de l’homme dans la famille est décisive et l’objectif essentiel du mariage est la procréation d’enfants qui ne peuvent être que de cet homme et qui sont à héritiers de sa propriété. Pour un homme, le mariage est un devoir donné par la coutume et les lois d’Athènes précisent le mariage et aussi ces devoirs de mari. Le mariage conjugal n’émerge pas dans l’histoire par une réconciliation de l’homme et de la femme. En revanche, il émerge d’une subordination d’un sexe par l’autre, d’une déclaration d’un conflit de ces deux qui est « inconnu jusque-là dans
118 Aristophane parle des molosses qui servaient à effrayer les amants , et dans les villes asiatiques, à tout le moins, on avait, pour surveiller les femmes, des eunuques qu’au temps d’Hérodote on fabriquait déjà à Chio pour en faire le commerce et qui, selon Wachsmuth, n’étaient pas seulement achetés par les Barbares. »
Ibid., p. 238.
119 Ibid., pp. 238-239.
120 Ibid., p. 239.
121 Ibid.
122 Ibid.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 317.
toute la préhistoire ».123 À la fin de cet argument, Engels parle d’un vieux manuscrit inédit, qui est composé par Marx et lui en 1846 (c’est le manuscrit de l’Ideologie Allemande), d’où il cite ces lignes : « La première division du travail est celle entre l’homme et la femme pour la procréation. »124 Et Engels l’ajoute :
La première opposition de classe qui se manifeste dans l’histoire coïncide avec le développement de l’antagonisme entre l’homme et la femme dans le mariage conjugal, et la première oppression de classe, avec l’oppression du sexe féminin par le sexe masculin.… Le mariage conjugal est la forme-cellule de la société civilisée, forme sur laquelle nous pouvons déjà étudier la nature des an-tagonismes et des contradictions qui s’y développent pleine-ment.125
Dans le dernier chapitre intitulé « Barbarie et Civilisation » de son ouvrage, Engels examine les conditions économiques qui abolissent les bases de l’organisation gentilice de la société au stade supérieur de la barbarie et qui supprime entièrement cette organisation lors du commencement de la civilisation. La population est clairsemée en dehors de la zone résidentielle de la tribu. À la périphérie de cette zone se trouve le terrain de chasse et à l’extérieur de celui-ci, il y a une « forêt protectrice neutre (Schutzwald) »126, qui la sépare des autres tribus. « La division du travail est purement naturelle ; il n’existe qu’entre les deux sexes. »127 L’homme s’occupe de la guerre, de la chasse et de la pêche et il se procure les matières premières pour la nourriture et les outils nécessaires. La femme s’occupe de la maison dont elle prépare de la nourriture et des vêtements, elle cuisine, elle tisse, elle coud. Chacun des deux est maître dans son domaine : l’homme dans la forêt, la femme
123 Ibid., p. 240.
124 « Die erste Teilung der Arbeit ist die von Mann und Weib zur Kinderzeugung »
Friedrich Engels, Der Ursprung der Familie,des Privateigentums und des Staats, Hottingen-Zurich:Schweizerischen Volksbuchhandlung, 1884, p. 68.
125 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 240
126 Ibid., p. 335.
127 Friedrich Engels, Der Ursprung der Familie, des Privateigentums und des Staats…, p. 155.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 318.
dans la maison. Chacun est propriétaire des outils qu’il fabrique et il les utilise : les armes et les engins de chasse et de pêche appartiennent à l’homme, les biens du ménage à la femme. La maisonnée est souvent commune à plusieurs familles. Ce qui est fabriqué et ce qui est utilisé ensemble sont une propriété commune : par exemple, une maison, un jardin, une pirogue. 128
Les tribus qui apprivoisent les animaux, et qui commencent après à l’élevage des animaux, et enfin, pour lesquelles l’élevage devient leur activité principale se sont séparées des tribus barbares. C’est « la première grande division sociale du travail »129. En raison des produits animaux, leurs produits deviennent différemment aux barbares, et par cette différence, l’échange régulier devient possible, contrairement à l’échange occasionnel.130 L’échange entre les tribus évolue vers l’échange individuel à mesure que les troupeaux deviennent une propriété privée. Le bétail devient une marchandise qui détermine la valeur de tous les autres, c’est-à-dire qu’il fonctionne comme de l’argent. Le grain qui est cultivé d’abord pour l’alimentation animale devient ensuite l’alimentation humaine. Les terres cultivées sont propriété tribale, mais elles sont graduellement données aux individus. À ce stade, il existe deux développements industriels importants : l’un est le métier à tisser et l’autre est le travail des métaux. « L’accroissement de la production dans toutes les branches » comme l’élevage du bétail, l’agriculture, l’artisanat domestique, procure au pouvoir « de travail humaine la capacité de produire plus qu’il ne lui fallait pour sa subsistance ». 131 Donc, la quantité de travail, que chaque membre de la tribu doit effectuer, augmente. Le besoin des nouveaux pouvoirs du travail est procuré par la guerre. Cela signifie que les prisonniers de guerre ont été transformés en esclaves, c’est-à-dire que la première grande division
128 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 335.
129 « erste große gesellschaftliche Teilung der Arbeit. »
Friedrich Engels, Der Ursprung der Familie, des Privateigentums und des Staats…, p. 155.
130 « Aux stades antérieurs, seuls des échanges occasionnels peuvent avoir lieu ; une habileté particulière dans la fabrication d’armes et d’instruments peut amener une éphémère division du travail. »
Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 336.
131 Ibid., p. 337.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 319.
sociale du travail exige l’esclavage, de sorte que la société est divisée pour la première fois en deux classes séparées : maîtres-esclaves.
Après un certain temps, les troupeaux sont passés de la propriété commune de la tribu (ou de la gens) à la propriété des chefs de famille individuels, et cela cause un changement dans la famille : la subsistance de la famille était l’affaire de l’homme. L’homme a produit les moyens de subsistance qui étaient sa propriété. Les troupeaux constituent aussi un nouveau moyen de subsistance, et donc l’apprivoisement et l’élevage devenaient les travaux de l’homme. Le bétail, les marchandises et les esclaves lui appartenaient. Les guerriers et les chasseurs « sauvages » se contentaient d’être subordonnés dans la maison ; cependant, le berger, s’appuyant sur sa richesse, se plaçait au premier rang dans la maison et faisait de la femme le secondaire. Ce changement lié à la division du travail dans la famille (Die Arbeitsteilung in der Familie) est expliqué par Engels comme suit :
La division du travail dans la famille avait réglé le partage de la propriété entre l’homme et la femme ; il était resté le même et, pourtant, il renversait maintenant les rapports domestiques antérieurs uniquement parce qu’en dehors de la famille la divi-sion du travail s’était modifiée. La même cause qui avait assu-ré à la femme sa suprématie antérieure dans la maison : le fait qu’elle s’adonnait exclusivement aux travaux domestiques, cette même cause assurait maintenant dans la maison la suprématie de l’homme.132
Ainsi, la suprématie réelle et unique de l’homme dans la maison est-elle établie. Cette suprématie devient définitive par « la chute du droit maternel », par « l’instauration du droit paternel », par « le passage graduel du mariage apparié à la monogamie. »133
L’étape suivante est l’époque de l’épée de fer, de la charrue de fer et de la hache. À ce stade, la ville entourée de murs de pierre devient le centre de la tribu ou de l’union des tribus. L’utilisation du fer cause l’agriculture dans les champs sur de plus grands terrains. Et elle fournit aux artisans des outils d’une dureté et d’un tranchant qu’aucune pierre et aucun autre métal connus ne pouvaient supporter. La richesse augmente rapidement comme la richesse individuelle. Le
132 Ibid., p. 338.
133 Ibid., pp. 338-339.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 320.
tissage, le travail des métaux et les autres métiers révèlent une diversité dans la production et une maîtrise de la production, outre les céréales et les légumineuses en agriculture, il y a désormais l’huile d’olive et le vin. « Une activité si diverse ne pouvait plus être pratiquée par un seul et même individu : la seconde grande division du travail s’effectua : l’artisanat se sépara de l’agriculture. »134 En conséquence, les esclaves qui étaient les simples auxiliaires étaient transformés aux esclaves qui travaillent dans des ateliers et des champs. La production pour le seul objectif d’échange, la production des marchandises et le commerce outre-mer sont émergés. Mais tout cela était encore très peu développé, on commence à utiliser les métaux à utiliser comme la monnaie, mais ils ne pouvaient pas encore être frappés. Avec cette nouvelle division du travail, la société est divisée en nouvelles classes, une distinction entre les hommes libres et les hommes esclaves ainsi que les riches et les pauvres est apparue. À ce stade, l’usage communautaire des terres a également disparu, d’abord les terres confient à l’usage des familles pendant un certain temps, et après pour toujours. Donc, « le passage à la complète propriété privée s’accomplit peu à peu, parallèlement au passage du mariage apparié à la monogamie. La famille conjugale commence à devenir l’unité économique dans la société »135.
La civilisation commence de même par un nouveau développement dans la division du travail. C’est le stade le plus bas où les hommes produisent pour leurs propres besoins, où les échanges sont occasionnels. Au stade moyen de la barbarie, il y a une division du travail entre les peuples éleveurs et les tribus sans les troupeaux et des échanges réguliers par suite des deux manières de production différentes. De même, au stade moyen de la barbarie, une autre division du travail se réalise entre l’agriculture et l’artisanat, où une part toujours croissante du produit est produite directement pour l’échange, de sorte que l’échange entre les producteurs individuels devient une nécessité de la société.
La civilisation consolide et accroît toutes ces divisions du travail déjà existantes, notamment en accentuant l’antagonisme entre la ville et la campagne (la ville pouvant dominer économiquement la campagne, comme dans l’ antiquité, ou la campagne domi-ner la ville, comme au Moyen Âge) , et elle y ajoute une troi-
134 Ibid., p. 339.
135 Ibid., p. 340.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 321.
sième division du travail qui lui est propre et dont l’importance est décisive : elle engendre une classe qui ne s’occupe plus de la production, mais seulement de l’échange des produits – les marchands.136
Nous avons auparavant analysé l’histoire et les conséquences de la formation de cette classe des marchands qui ne se rattache pas à la production. En dernière analyse, dans cet ouvrage écrit en 1884, Engels explique en détail les arguments qui semblent être des notes séquentielles dans L’Idéologie allemande en 1846 que Marx et Engels avaient écrit ensemble. 137 Quoiqu’un siècle et demi après l’écriture de ces ouvrages, c’est-à-dire aujourd’hui, sans aucun doute, de nombreux faits historiques dans leur contenu puissent considérés comme problématiques,138 leur interprétation de la division du travail dans la famille, particulièrement dans la famille athénienne est assez valable. En outre, la division du travail, dans l’Economique de Xénophon coïncide parfaitement avec ce que Marx et Engels appelaient la division du travail au sein de la famille (celle sur une base purement physiologique, autrement dit celle qui est purement naturelle). Chez Xénophon, la division du travail trouve son origine dans la coutume dont Ischomaque parle comme ce qui détermine le lieu de travail pour les hommes et les femmes139 et c’est complètement similaire la forme de la division du travail qui se trouve spontanément dans les tribus et qui est avant de la première grande division sociale du travail. Le domaine des femmes est la maison et les hommes s’occupent des travaux à l’extérieur. Engels mentionne une circonstance au stade inférieur de la barbarie, il s’agit de la forêt dont l’homme est maître, l’endroit pour la guerre, la chasse et à
136 Ibid., p. 342.
137 Nous avons aussi étudié précédemment ces arguments qui commencent par ces phrases suivantes : « Les divers stades de développement de la division du travail représentent autant de formes différentes de la propriété…la première forme de la propriété est la propriété de la tribu.»
138 La recherche archéologique et anthropologique a beaucoup avancé par rapport à l’ère d’Engels, avec l’aide de la révolution technologique, il est désormais possible de détecter des trouvailles même au laser sans creuser. La même révolution technologique entraîne des conséquences telles que la datation, la lecture, l’analyse stylistique et la numérisation des textes grecs anciens, les rendant incomparablement plus accessibles qu’à l’époque de Marx et Engels.
139 Xénophon, Économique…, VII.30, p. 64.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 322.
la pêche.140 Mais Xénophon indique plutôt l’agriculture au lieu de cela parce qu’au moins, selon la date dramatique du texte, Ischomaque ne vit pas au stade inférieur de la barbarie dans lequel il n’y a pas encore d’esclavage. Selon Engels, l’esclavage est né après la première division sociale du travail liée à l’apprivoisement des animaux et à l’élevage. La division du travail au sein de la famille reste même, mais le statut de femme dans la maison est changé, elle est devenue secondaire à cause de la modification de la division du travail en dehors de la famille.141 La famille monogamique se forme dans la période entre les stades moyen et supérieur de la barbarie, et la victoire finale de la forme familiale monogamique est l’un des signes du début de la civilisation. À cette époque-là, la deuxième et la troisième grande division sociale du travail sont déjà réalisées. Selon Engels, la famille monogamique est une nouvelle forme de famille qui « apparaît chez les Grecs dans toute sa rigueur »142. Selon lui, « pour les Grecs d’époque plus tardive », « chez les Ioniens, pour lesquels Athènes fournit un cas typique », Engels commence à examiner la situation de la femme dans la famille monogamique comme suit : « Les jeunes filles apprenaient seulement à filer, tisser et coudre, tout au plus à lire et à écrire un peu »143 chez Xénophon, il y a aussi même référence à l’apprentissage des jeunes filles. Ischomaque épouse une jeune femme, qui avait quinze ans lors de leur mariage, et elle est venue chez lui en sachant seulement prendre de la laine et produire un manteau, elle n’a rien appris avant. À ce sujet, Ischomaque dit à Socrate : « quand elle est venue chez moi ; jusque-là, elle vivait sous une stricte surveillance, elle devait voir le moins de choses possible, en entendre le moins possible »144 lors qu’Ischomaque parle d’un statut plus bas lié à l’éducation, il donne l’exemple de tissage. Alors qu’il parle des autres préoccupations (έπιμέλειαι) particulières qui s’avèrent agréables pour sa femme, il dit : « si tu prends une esclave « incapable de travailler la laine et que tu l’en rends capable »145. Cela aussi se coïncide exactement à la situation de la femme dans le modèle qu’Engels nomme la famille athénienne. En se référant aux Grecs,
140 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 335.
141 Ibid., p. 338.
142 Ibid., p. 237.
143 Ibid., pp. 237-238.
144 Xénophon, Économique…, VII.5, p. 59.
145 Xénophon, Économique…, VII.41, p. 66.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 323.
Engels prétend que la famille monogamique, que l’on peut observer chez « le peuple le plus civilisé et le plus développé de l’Antiquité », était « la première forme de famille basée non sur des conditions naturelles, mais sur des conditions économiques ».146 Nous citons cette interprétation de Foucault pour l’expliquer : « C’est dans ce cadre d’un art de l’« économie » que Xénophon pose le problème des rapports entre mari et femme. C’est que l’épouse, en tant qu’elle est maîtresse de maison, est un personnage essentiel dans la gestion de l’oikos et pour son bon gouvernement. »147 Dans l’Economique, la responsabilité gouvernementale du mari dans la maison est l’un des exemples de l’idée que la famille monogamique dépende de « l’assujettissement d’un sexe par l’autre »148.
Dans l’Ideologie Allemande, Marx et Engels mentionnent que la division naturelle du travail au sein de la famille implique « la répartition du travail et de ses produits, la distribution inégale en vérité tant en quantité qu’en qualité », propriété « dans la famille où la femme et les enfants sont les esclaves de l’homme. L’esclavage certes encore très rudimentaire et latent dans la famille est la première propriété. »149 Cette répartition inégale du travail dépend premièrement du lieu de travail dans l’Economique. Ischomaque éduque sa femme de telle manière qu’il la transforme en une collaboratrice telle qu’il peut lui confier la maison lorsqu’il est aux champs ou à l’agora, c’est-à-dire pendant qu’il s’occupe de la gestion ses affaires dans ces lieux privilégiés qui sont pour l’activité masculine. Ces lieux sont privilégiés parce que selon le modèle de la famille athénienne qu’Engels étudie, les femmes sont « pour ainsi dire cloîtrées » et elles ne sortent pas « sans être accompagnées d’une esclave ; à la maison » et elles sont
146 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 239.
147 Foucault conclut son argument comme suit :
« Xénophon traite longuement de la relation matrimoniale, mais de façon indirecte, contextuelle et technique ; il la traite dans le cadre de l’oikos, comme un aspect de la responsabilité gouvernementale du mari et en cherchant à déterminer comment l’époux pourra faire de sa femme la collaboratrice, l’associée, la sunergos, dont il a besoin pour la pratique raisonnable de l’économie. »
Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, p. 171.
148 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 240.
149 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 61.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 324.
« placées sous une surveillance effective ».150 Il faut que rappeler ce que dit Ischomaque à Socrate sur le passé de sa femme jusqu’au mariage : « jusque-là elle vivait sous une stricte surveillance ». Selon Foucault, « le lien matrimonial est donc caractérisé dans sa dissymétrie d’origine, l’homme décide pour lui-même alors que c’est la famille qui décide pour la fille »151 le début du dialogue avec sa femme, comme le promulgue Ischomaque : « moi pour mon propre compte, et tes parents pour le tien, au meilleur associé que nous pourrions nous adjoindre pour notre maison et nos enfants, je t’ai choisie pour ma part et tes parents, il me semble, m’ont choisi moi, parmi les partis possibles » 152 Engels résume son argument sur l’objectif du mariage conjugal au stade de la famille monogamique : « Souveraineté de l’homme dans la famille et procréation d’enfants qui ne pussent être que de lui et qui étaient destinées à hériter de sa fortune, – tels étaient, proclamés sans détours par les Grecs, les buts exclusifs du mariage conjugal. »153 Il faut ajouter qu’Ischomaque insiste sur l’abolition de cette inégalité qui se trouve dans le commencement et il désire de vivre ensemble avec sa femme et partager en commune ce qu’il a et tout ce que sa femme apporte, en disant qu’il ne faut pas les calculer.154 Mais cette communauté n’est pas formée « dans la relation duelle entre deux individus, mais par la médiation d’une finalité commune, qui est la maison : son maintien et aussi la dynamique de sa croissance »155
La coutume dont Xénophon parle, la divinité qui répartit ces travaux, la loi à Athènes qui impose le mariage et qui force aussi un devoir, en dernière analyse, tout cela résulte d’une sorte de subordination d’un sexe, comme l’explique Foucault : « L’opposition « naturelle » de l’homme et de la femme, la spécificité de leurs aptitudes sont indissociables de l’ordre de la maison ; elles sont faites pour cet ordre, qui, en retour, les impose comme des obligations. »156 Mais au point de vue de la division du travail, il faut bien déterminer le point
150 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 238.
151 Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, pp. 173-174.
152 Xénophon, Économique…, VII.11, p. 60-61.
153 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 239.
154 Xénophon, Économique…, VII.13, p. 61
155 Michel Foucault, Histoire de la Sexualité…, p. 174.
156 Ibid., p. 176.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 325.
suivant : la division du travail dans la famille, qui avait réglé le partage de la propriété entre l’homme et la femme, était restée le même, après la réalisation de la première grande division sociale du travail, mais les relations domestiques sont entièrement changées à cause de celle-ci. Comme le promulgue Engels :
La même cause qui avait assuré à la femme sa suprématie anté-rieure dans la maison : le fait qu’elle s’adonnait exclusivement aux travaux domestiques, cette même cause assurait maintenant dans la maison la suprématie de l’homme : les travaux ménagers de la femme ne comptaient plus, maintenant, à côté du travail productif de l’homme celui-ci était tout ; ceux-là n’étaient qu’un appoint négligeable.157
Puisque la division du travail au sein de la famille reste la même,158 Ischomaque peut défendre le principe selon lequel les travaux ne devraient pas avoir plus d’importance que l’autre, mais selon cette interprétation, la relation entre le mari et la femme reste problématique parce que la propriété privée159 est ce qui est décisif dans contexte.
157 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 338.
158 Les différents types de division du travail ont émergé aux différentes périodes historiques ; cela ne signifie pas qu’ils ne coexisteront pas dans la même période historique. Ce pourquoi le texte cité du Capital suivant est un bon exemple de cela dans ce contexte :
« Si nous voulons observer du travail commun, c’est-à-dire immédiatement socialisé, point n’est besoin de remonter à sa forme naturelle initiale, telle qu’on la rencontre à l ‘aube de l’histoire chez tous les peuples civilisés. Nous en avons un exemple plus proche avec l’industrie agro-patriarcale d’une famille paysanne qui produit pour ses propres besoins grain, bétail, fil, toile, vêtements, etc. Ces diverses choses se présentent à la famille comme autant de produits divers de son travail familial, mais ne se font pas face mutuellement comme marchandises. Les divers travaux qui sont à l ‘origine de ces produits, culture, élevage, filage, tissage, confection, etc., sont sous leur forme de prestations en nature des fonctions sociales, puisqu’ils sont des fonctions de la famille, laquelle possède tout autant que la production marchande sa propre division du travail naturelle. Les différences d ‘âge et de sexe, ainsi que les conditions naturelles changeantes avec les changements de saison, règlent la répartition de ces travaux au sein de la famille ainsi que le temps de travail de ses différents membres pris individuellement. »
Karl Marx, Le Capital…, p. 189.
159 Cela se réfère à la relation mari-femme. Il faut être attentif de distinction de la propriété et la propriété privée. Dans le texte suivant, Engels parle de
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 326.
En dernière analyse, la répartition du travail au sein de la maison d’Ischomaque c’est-à-dire la distribution de ses tâches et des tâches de sa femme est une des toutes premières pierres angulaires d’un modèle de la division du travail. Ainsi, L’Economique de Xénophon est-elle la première de ceux-ci dans l’histoire de la philosophie.
2. Marx versus Platon : La division sociale du travail
L’Économique de Xénophon est étudié dans les lectures contemporaines dans le cadre des discussions sur la division sexuée du travail, et il y a suffisamment de raisons à cela. Au point de vue de notre étude, nous ne l’avons pas étudié sur la base des sexes. Notre étude contient les statuts sociaux dans la mesure où ce texte, que nous avons analysé, les inclus. Mais, nous n’avons pas étudié la raison pour la division du travail selon les sexes, nous n’avons pas analysé comment cette histoire s’écrit et comment les sexes sont interprétés dans ce texte de philosophie. Nous faisons une analyse basée sur la division du travail au sein de la famille. Nous avons essayé d’interpréter que ce type de division du travail qui n’est pas indépendant de la division sociale du travail et L’Economique de Xénophon devrait être l’un des principaux textes d’étude de la division du travail dans l’histoire de la philosophie. Dans la République de Platon, la division du travail est le principe fondateur de la cité, et dans l’Économie de Xénophon, elle est celui-ci de la famille. Le sujet de la division du travail se situe effectivement dans une position plus centrale dans ce texte que dans la Cryopédie de Xénophon. Cependant, comme nous l’avons cité auparavant, Diogène Laërce mentionne la Cyropédie de Xénophon et la République de Platon comme les équivalents. La plupart des lectures modernes et ultérieures illustrent également ces deux de l’Antiquité en ce qui concerne la division du travail, y compris Marx et Engels.
Le texte de La Republique est en effet une pierre angulaire dans l’histoire de la philosophie sur ce sujet. Une telle division du travail n’est pas une idée mentionnée dans une seule partie du texte, mais un principe qui détermine la fondation de la cité où Socrate recherche la
la propriété c’est-à-dire la relation entre l’objet et l’individu : « Gagner la subsistance avait toujours été l’affaire de l’homme ; c’est lui qui produisait les moyens nécessaires à cet effet et qui en avait la propriété. »
Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, pp. 337-338.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 327.
justice. Une partie, qui est souvent citée de la Cyropédie et qui est sur la division du travail dans la cuisine du roi, contient deux idées qui ne se trouvent pas dans la République de Platon (ni dans les autres œuvres de Platon) : l’une est que Xénophon affirme un contraste entre les grandes villes (ταῖς μεγάλαις πόλεσιν) et les petites villes (ταῖς μικραῖς πόλεσιν ) en ce qui concerne la pluralité-singularité de travail de chaque personne. Cela permet aux penseurs modernes de l’interpréter comme l’idée que « la division du travail est limitée par l’étendue du marché. » Cela introduit l’idée d’une limite pour la division du travail. Deuxièmement, ce texte permet une analogie avec la division du travail au sein de l’atelier, à savoir celle dans la manufacture, au sens moderne. Selon Marx, la manufacture émerge des artisanats de deux manières différentes : la première, la production d’une marchandise, en somme, est une sorte de l’unification de métiers indépendants. L’exemple primitif se trouve dans ce texte de Xénophon : dans les grandes villes, une simple partie de ce métier parfois suffit pour nourrir un artisan, « il arrive même qu’ils trouvent à vivre en se bornant, l’un à coudre le cuir, l’autre à le découper, un autre en ne taillant que l’empeigne, un autre en ne faisant autre chose que d’assembler ces pièces. »160 La deuxième manière est le résultat de la coopération d’artisans de la même espèce. Cette fois, le même artisanat se divise en différentes opérations dont chacune est le travail d’un seul ouvrier particulier, en fait sa seule fonction. À titre d’exemple de cela, Xénophon mentionne la table du roi Cyrus qui est préparée par un expert dans l’art culinaire : « quand… l’un fasse bouillir les viandes, qu’un autre les grille, qu’un troisième fasse bouillir les poissons, qu’un autre les grille, qu’un autre fasse le pain … le travail ainsi compris doit nécessairement donner…des produits tout à fait supérieurs en chaque genre. »161
Pour ces raisons, en ce qui concerne la division du travail, quoique ce fragment de texte ne soit pas dans la position centrale de la Cyropédie, il reçoit beaucoup plus d’attention que L’Economique. De même que la division du travail chez Aristote n’est pas assez populaire dans les études sur la division du travail. Cependant, l’exemple d’Aristote sur l’art de la construction que nous avons examiné auparavant est assez intéressant. Le contexte est encore différent comme celui dans la
160 Xénophon, Œuvres Complètes, Tome I, Cyropedié-Hipparque-Equitation-Hieron-Agésilas-Les Revenus…, p. 278.
161 Ibid.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 328.
Cyropédie. Dans Éthique à Nicomaque, Aristote recourt à une analogie entre le mouvement et l’art de la construction, lorsqu’il distingue le plaisir du mouvement (κίνησίς), selon qu’il s’agit d’une forme achevée (τελεία εἶναι) ou pas. Et il mentionne la création du sanctuaire. Les parties de ce travail sont l’assemblage des pierres et l’opération qui consiste à canneler la colonne. « Ces opérations diffèrent de la création du sanctuaire. De plus, la création du sanctuaire est une opération achevée, car il n’en faut aucune autre pour réaliser le projet, tandis que la pose de la semelle et celle du triglyphe sont des opérations inachevées, puisque chacune des deux correspond à une partie du projet. »162 Cela pourrait être un exemple éloquent de ce que Marx nomme la division du travail qui est une espèce particulière de coopération. En outre, dans Les Politiques, Aristote critique explicitement la cité de Platon dans laquelle le principe de la division du travail se forme. Mais alors qu’il la critique, il accepte ce principe suivant de Platon: « Celui qui n’en exercerait qu’un seul exercerait l’activité la mieux réussie. »163 Aristote exprime cela ainsi : « c’est quand elle est accomplie par un seul individu qu’une tâche l’est le mieux »164. Ce principe et ses diverses formes sont répétés dans d’autres textes ainsi que dans les textes de Xénophon. Au mépris de ses diverses différences, sa lecture comme une tradition nous semble possible. Il n’est pas nécessaire de répéter complètement les analyses que nous avons auparavant faites sur la division du travail chez Platon, Aristote et Xénophon. Chez Platon et Aristote, ce principe se trouve dans un projet qui devrait être, non seulement dans ce qui est. Chez Platon, Socrate et d’autres construisent en paroles leur cité à partir d’une cité qui peut être considérée comme un fait historique. Ils y trouvent la cause de la fondation, sa définition et son principe de l’échange dedans. Ensuite, ils établissent ce qui devrait être. L’objet de recherche d’Aristote est la constitution excellente, il la projette après l’étude des constitutions existant réellement. « Il arrive souvent aux mêmes gens de porter les armes et de cultiver la terre »165 et « les mêmes peuvent porter les armes, être paysans, être ouvriers,
162 Aristote, Œuvres Complètes…, 1174a, p. 2207.
163 « Qui exercerait l’activité la mieux réussie, celui qui travaillerait dans plusieurs métiers, ou celui qui n’en exercerait qu’un seul ? — Celui qui n’en exercerait qu’un seul. »
Platon, Œuvres Complètes…, 370b, p. 1529.
164 Aristote, Œuvres Complètes…, 1273b, p. 2372.
165 Ibid., 1291a, p. 2417.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 329.
mais aussi membres des instances délibérative et judiciaire »166, ces deux sont les déterminations qu’Aristote fait avant la question de la constitution excellente dans Les Politiques. Selon Aristote, les paysans, les artisans et les marchands ne peuvent pas être les citoyens de la cité ayant la constitution excellente, à cause de leur vie qui est ignoble et contraire à la vertu parce qu’ils manquent de loisir qui est nécessaire pour l’activité politique et le développement de la vertu. Après avoir exclu ces trois, la partie militaire (πολεμικὸν) et la partie délibérative et judiciaire (βουλευόμενον καὶ κρῖνον) sont celles qui restent. Aristote demande : « Faut-il les considérer comme distinctes ou les confier toutes les deux aux mêmes gens ? »167 Et il répond comme « d’une certaine manière il faut les confier aux mêmes, et d’une autre manière à des gens différents »168. Aristote propose son propre modèle comme le seul possible : ces deux travaux doivent être confiés aux mêmes gens, non cependant en même temps, parce que ces deux travaux (ἑκάτερον τῶν ἔργων) nécessitent des périodes différentes de la vie d’un homme. Par exemple, l’homme convient pour un travail unique dans sa jeunesse, convient à un autre travail quand il est plus vieux. Donc, respectivement un citoyen participe à la partie militaire et à la partie délibérative qui composent le corps politique de la cité. Et il faut attribuer les travaux sacerdotaux aux membres retraites (ἀνάπαυσιν) de ces deux classes lesquels laissent les travaux à cause de l’âge. En dernière analyse, Aristote trouve une solution à cette question sur la base temporelle. Ce modèle d’Aristote nous apparaît réellement comme l’opposé de celui de Platon. Cependant, en considérant la question principale de notre étude, nous pouvons demander ce qui suit : Le modèle décrit- par Marx et Engels dans l’Idéologie Allemande est une sorte de modèle d’Aristote. Est-ce l’adaptation de ce modèle alternatif d’Aristote, qui a été créé sur la base de personnes exerçant différents métiers à différentes périodes de leur vie, se réduisant en une journée d’un homme par Marx et Engels ? Notre réponse est : certainement non !
Marx et Engels développent leur propre compréhension de la valeur sur la base de cette distinction en se référant à Aristote sur la distinction de valeur d’échange et de la valeur d’usage. Même s’ils ne se réfèrent pas à lui, on peut dire que leur analyse sur la coopération
166 Ibid., 1291b, p. 2418.
167 Ibid., 1329a, p. 2504.
168 Ibid.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 330.
et le loisir contient les traces d’approche aristotélicienne. Quant à la division du travail, cela n’est certainement pas valide.
Au cœur de La République, nous trouvons la division du travail par laquelle Socrate pose la formule de la justice : la cité est fondée sur les besoins (la nourriture, le logement, le vêtement et les choses de ce genre). Ceux-ci ne peuvent être satisfaits qu’en attribuant des travaux aux hommes c’est-à-dire qu’ils sont satisfaits en identifiant les hommes aux travaux. Comme le promulgue Socrate :
Comment la cité suffira-t-elle à pourvoir à de tels besoins ? Y a-t-il un autre moyen qu’en faisant de l’un un laboureur, de l’autre un maçon, de l’autre un tisserand ? Ajouterons-nous également un cordonnier ou quelque autre artisan pour s’occuper des soins du corps ? 169
Chaque personne identifiée à un travail devient un citoyen de la cité. Cette identification est déjà antérieure à la question sur le mode du travail qu’on peut résumer par le principe de « s’occuper de ses tâches propres »170 (en grec : τὸ αὑτοῦ ἔργον, en latin : suum cuique, en allemand: jedem das seine). Selon Platon, la cité existante est formée à cause des besoins. Elle se définit comme une communauté réunie en un même lieu en raison de la multiplicité des besoins parce qu’un « homme recourt à un autre pour un besoin particulier, puis à un autre en fonction de tel autre besoin »171. Le principe de la cité est l’échange sur la base de l’intérêt propre. La cité qui devrait être est construite sur ceux-ci. Donc, toute la relation essentielle dans la cité émerge des besoins et pour les procurer, la division du travail se réalise juste dans le commencement. Le « travail » (ἔργον) est réparti en faisant l’un, un laboureur, l’autre un maçon, etc. Tout comme Marx et Engels le décrivent dans l’Idéologie allemande :
169 Platon, Œuvres Complètes…, 369d, p. 1528
πῶς ἡ πόλις ἀρκέσει ἐπὶ τοσαύτην παρασκευήν; ἄλλο τι γεωργὸς μὲν εἷς, ὁ δὲ οἰκοδόμος, ἄλλος δέ τις ὑφάντης; ἢ καὶ σκυτοτόμον αὐτόσε προσθήσομεν ἤ τιν᾽ ἄλλον τῶν περὶ τὸ σῶμα θεραπευτήν;
Plato, Republic, Perseus Digital Library, 369d.
http://data.perseus.org/citations/urn:cts:greekLit:tlg0059.tlg030.perseus-grc1:2.369d
170 Platon, Œuvres Complètes…, 433b, p. 1596.
171 Ibid., 369c, p. 1528
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En effet, dès l’instant où le travail commence à être réparti, cha-cun a une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir; il est chasseur, pêcheur ou ber-ger ou critique critique, et il doit le demeurer s’il ne veut pas perdre ses moyens d’existence;172
Et ils projettent ce qui devrait être c’est-à-dire la condition où il n’y aurait pas de division du travail :
tandis que dans la société communiste, où chacun n’a pas une sphère d’activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production gé-nérale ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chas-seur, pêcheur ou critique.173
L’accentuation n’est ni sur la régulation de la production générale par la société ni sur le perfectionnement dans une branche ni même sur les différentes activités à différents moments de la journée, mais sur l’abolition « d’une sphère d’activité exclusive »174« sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique »175; parce que le travail, qu’il soit
172 « Sowie nämlich die Arbeit vertheilt zu werden anfängt, hat jeder einen bestimmten ausschließlichen Kreis der Thätigkeit, der ihm aufgedrängt wird, aus dem er nicht heraus kann; er ist Jäger, Fischer oder Hirt oder kritischer Kritiker, & muß es bleiben, wenn er nicht die Mittel zum Leben verlieren will »
Karl Marx, Friedrich Engels, Joseph Weydemeyer, Marx-Engels-Jahrbuch 2003…, p. 20.
173 « während in der kommunistischen Gesellschaft, wo Jeder nicht einen ausschließlichen Kreis der Thätigkeit hat, sondern sich in jedem beliebigen Zweige ausbilden kann, die Gesellschaft die allgemeine Produktion regelt & mir eben dadurch möglich macht, heute dies, morgen jenes zu thun, Morgens zu jagen, Nachmittags zu fischen, Abends Viehzucht zu treiben u. nach dem Essen zu kritisiren, wie ich gerade Lust habe, ohne je Jäger Fischer Hirt oder Kritiker zu werden. »
Karl Marx, Friedrich Engels, Joseph Weydemeyer, Marx-Engels-Jahrbuch 2003…, pp. 20-21.
174 Dans le fondement de la cité platonicienne, chacun a une sphère d’activité exclusive selon sa disposition naturelle. Autrement dit, dans la cité de Platon, l’individu se confine à une sphère d’activité à cause de la disposition naturelle.
175 Mais l’homme, selon Aristote, devient un artiste en exerçant son art : « En effet, ce qu’on doit apprendre à faire, c’est en le faisant que nous
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déterminé par la naissance ou appris, est imposé à chacun par la division du travail. La division du travail inclut également la contradiction entre les intérêts des individus et l’intérêt commun de tous les individus. L’intérêt commun apparaît sous la forme d’une interdépendance entre les individus avec lesquels le travail est réparti. Dans la cité de Platon, l’un est dépendant de l’autre dans une relation de besoin. Au point de vue marxiste, la division du travail peut être considérée comme le premier exemple de l’action propre de l’homme lui devenant étranger et l’assujettissant au lieu de le dominer, parce que l’activité est divisée non pas volontairement, mais naturellement (selon la disposition naturelle, comme chez Platon). Et à la fin, la vie matérielle de l’homme devient son objectif, et le travail devient son moyen.
La transformation du travail en autoactivité (la réalisation de soi, Selbstbethätigung), que Marx projette comme ce qu’elle devait être, signifie qu’elle correspond à la transformation des individus, en la relation que les individus établissent entre eux en tant qu’individus, au lieu de la relation entre le cordonnier et le laboureur c’est-à-dire au lieu de la relation limitée déterminée par les besoins dans la cité de Platon.
La conséquence de la division du travail est la perte complète de l’apparence de la « réalisation de soi » (Selbstbethätigung ) des individus par le travail, qui est le seul lien qui maintient encore les individus en relation avec les pouvoirs productifs et leur propre existence. La production de la vie matérielle et l’autoactivité sont séparées dans l’histoire à cause de leur répartition parmi les individus différents et de la limitation des individus qui considèrent la production de la vie matérielle comme une forme subsidiaire d’autoactivité. Mais, quand la division du travail se perfectionne, cette séparation s’approfondit, la vie matérielle se manifeste comme étant la fin, et le travail (la production de la vie matérielle), comme étant le moyen. Si et seulement si la division du travail est abolie, la réalisation de soi peut coïncider avec la vie matérielle qui correspond à la transformation du travail en réalisation de soi (die Verwandlung der Arbeit in Selbstbethätigung) et « la métamorphose des relations conditionnées jusqu’alors en relations
l’apprenons. Ainsi, c’est en bâtissant qu’on devient bâtisseur et en jouant de la cithare qu’on devient cithariste. » Mais, cette remarque ne change en rien le point de vue de la division du travail.
Aristote, Œuvres Complètes…, 1102b, p. 2002.
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des individus en tant qu’individus »176. Ainsi, par la transformation de la division du travail des puissances personnelles (rapports) en pouvoirs objectifs, les individus soumettent-ils ces pouvoirs objectifs et abolissent la division du travail.
« Le platonisme, où va-t-il se nicher ! »177 : C’est ainsi que Marx exprime sa réaction dans Le Capital. Dans une discussion sur une heure de repas précise pour tous les travailleurs, Marx, pour ainsi dire, ramène Platon à son époque et il se réfère au texte de La République de Platon liée à ce sujet. Dans La République, Platon indique comme suit : « Si quelqu’un laisse passer l’occasion propice de réaliser quelque chose, le travail est gâché. » et « la chose à faire n’est pas disposée à attendre le loisir de celui qui doit la faire, mais nécessairement, celui qui fait doit s’appliquer à faire ce qui est à faire, en évitant de le considérer comme une occupation secondaire. »178 Ces mots de Platon sont en fait un aveu qu’il y a une distinction entre ceux qui sont identifiés dans le début, à savoir entre le travail et celui qui effectue le travail. Et contrairement à Platon, Marx est du côté de celui qui effectue le travail, à savoir l’homme, non le travail. Parfois, pour exprimer simplement une opposition, il faut la purger de tout son contenu. Ceci est important parce que cela nous montre nettement un contraste, même si cela rend les idées très simples et ignore ses caractéristiques et son histoire : selon Platon, l’homme a besoin de chaussures. Afin de procurer au besoin, l’un est cordonnier. Un cordonnier est celui qui fabrique les chaussures (un cordonnier fabrique les chaussures). Selon Marx et Engels, c’est comme suit : l’homme a besoin de chaussures. L’homme a besoin de chaussures, alors fabriquons des chaussures. Fabriques des chaussures « sans devenir un cordonnier » signifie cela. « Alors, fabriquons des chaussures », signifie un discours à l’égard de la production générale réglementée par la société.
En dernière analyse, alors que le mode du travail de la cité de Platon s’oppose de la cité d’Aristote ayant la constitution excellente, Marx et Engels sont contre la division du travail elle-même qui est le principe fondateur de la cité de Platon et puisqu’ils sont contre le travail lui-même imposé par la division du travail, dans cette perspective, non
176 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 101.
177 Karl Marx, Le Capital…, p. 412.
178 Platon, Œuvres Complètes…, 370b-370c, p. 1529.
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seulement leurs conceptions sont évaluées comme les opposés, mais aussi comme radicalement opposées.
Si cette opposition s’exprime en considérant l’histoire de la philosophie, alors la division du travail elle-même est positive en dernière analyse pour Aristote et tous les autres philosophes que nous avons cités, à commencer par Xénophon et Platon. Chez Adam Smith, cette affirmation trouve son apogée et se situe au centre de sa conception. Alors que la question de la division du travail devient importante parmi les penseurs modernes, ses aspects négatifs et ses conséquences négatives commencent à apparaître. Même Adam Smith, sous l’influence d’Adam Ferguson, parle des conséquences de la division du travail qui peuvent être interprétées négativement ; cependant, il n’y a aucune référence qu’il ait évalué ces résultats négativement. Notre question exigeait un dévoilement d’une tradition et d’une ligne dans l’histoire de la philosophie parce qu’une étude qui ne contiendrait et ne comparerait que les conceptions de Platon et de Marx-Engels nous obligeraient d’accepter par avance une approche formellement appropriée à la division platonicienne du travail. Jusqu’à leur époque, Marx et Engels sont-ils les seuls dans l’histoire de la philosophie à évaluer négativement la division du travail elle-même ? Mais avant Marx et Engels, n’y avait-il pas de philosophes qui considéraient négativement la division du travail elle-même? Oui, il y en a un, et ce philosophe est Jean Jacques Rousseau, qu’Adam Smith admirait beaucoup.
Dans son ouvrage intitulé Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau reconsidère et réécrit l’histoire de l’humanité, et selon lui, l’origine de l’inégalité entre les hommes est une société fondée sur la propriété. Cela commence lorsque les hommes s’appliquèrent des travaux qui nécessitent l’aide de quelques mains. À partir du moment où une personne a besoin de l’aide d’une autre, sa vie libre, saine, bonne et heureuse commence à se détériorer. Rousseau considère les esclaves responsables aussi bien que les maîtres, à l’égard de ce problème fondamental de la civilisation : à moins que l’homme ne revienne à son innocence primitive, que l’on peut interpréter comme une condition dans laquelle il n’y a pas de la division du travail, il creuserait sa propre tombe. Il est intéressant que Marx et Engels n’aient pas mentionné Rousseau à l’égard de la contrariété à la division du travail. De plus, selon Marx, la République de Platon est une idéalisation athénienne du système des castes égyptien, dans la mesure où la division du travail
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est le principe constitutif de l’État ; les autres contemporains de Platon et Isocrate considéraient l’Égypte comme un pays exemplaire et cette importance de l’Égypte pour les Grecs s’est également poursuivie pendant l’Empire romain. Marx et Engels ne font aucune référence à Rousseau sur ce sujet, comme « la mère de la philosophie et des beaux-art »179, qui parle de l’Égypte ancienne. Cela pourrait faire l’objet d’une autre étude.
La recherche de la division du travail dans l’histoire de la philosophie après Marx peut être un autre sujet complémentaire à cette étude. Nous conclurons notre étude par quelques phrases sur l’importance du sujet en ce qui concerne l’époque dans laquelle nous vivons. Alors qu’Aristote examine la nature et les fonctions de l’esclave, il mentionne les statues légendaires de Dédale dans Les Politiques:
Si donc il était possible à chaque instrument parce qu’il en au-rait reçu l’ordre ou par simple pressentiment de mener à bien son œuvre propre, comme on le dit des statues de Dédale ou des trépieds d’Héphaïstos, qui, selon le poète, entraient d’eux-mêmes dans l’assemblée des dieux ; si, de même, les navettes tissaient d’elles-mêmes et les plectres jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n’auraient pas besoin d’exécutants ni les maîtres d’esclaves.180
Selon Marx et Engels, ceci est exactement ce qui devrait être ; c’est-à-dire l’abolition de cette relation fondamentale entre le maître et l’esclave, qui avait un nom différent dans une autre période historique. L’époque dans laquelle Marx et Engels ont vécus, est juste avant la deuxième révolution industrielle ; aujourd’hui, on mentionne que nous sommes à l’époque de la troisième révolution industrielle qui commençait par le développement des technologies de la communication et qui continue par l’informatique et l’internet. « L’idée d’un dépassement du travail fait son retour sous une nouvelle forme : les développements de l’intelligence artificielle et du machine learning (apprentissage automatique) font espérer à certains et craindre à d’autres que le travail humain puisse être bientôt rendu inutile »181. Mais, enfin, se référant à différentes périodes historiques, comme le promulgue Marx : « chacun
179 J.-J. Rousseau, Œuvres Complètes, p. 177.
180 Aristote, Œuvres Complètes…, 1253b, p. 2328.
181 F. Fischbach, A. Merker, P.-M. Morel, E. Renault, Historique Philosophique du travail, Paris : Libraire Philosophique J. Vrin, 2022, pp. 6-7.
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des modes de la division du travail avait des instruments de production spécifiques ».182
Dans le temps présent, ce qui est mentionné par Aristote par les statues de Dédale, par la voie de l’apprentissage automatique a-t-il été réalisé ? Donc, quand une machine a reçu un ordre ou par simple pressentiment, peut-il entrer de lui-même dans l’assemblée des dieux ? Est-ce que c’est possible pour les navettes de tisser d’elles-mêmes et pour les plectres jouer tout seuls de la cithare ?
Il nous semble qu’ils peuvent les faire actuellement. Ne font-ils pas ?
Cela pourrait-il conduire à l’abolition de la division du travail existante ? Une troisième voie est-elle possible, en dehors des opposées radicales, où Platon reste du côté du « travail » et Marx et Engels du côté de « l’homme » ? À l’égard de la division du travail, une perspective centrée sur le monde est-elle possible au lieu d’une perspective centrée sur le travail ou d’une perspective centrée sur l’humain ? Par exemple, à l’époque actuelle, alors que la perspective économique discute de la taxation des robots de l’intelligence artificielle à l’avenir, la perspective écologique se focalise sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’agriculture pour la pérennité du monde. En dernière analyse,
182 Dans la lettre à P. Annenkov qui est écrite par Marx en français, il l’explique comme suit :
« le régime des castes n’était-il pas une certaine division du travail ? Et le régime des corporations n’était-il pas une autre division du travail ? Et la division du travail du régime manufacturier, qui commence au milieu du XVIIe siècle et finit dans la dernière partie du XVIIIe siècle en Angleterre, n’est-elle pas aussi totalement distincte de la division du travail de la grande industrie, de l’industrie moderne ? … Toute l’organisation intérieure des peuples, toutes leurs relations internationales, sont-elles autre chose que l’expression d’une certaine division du travail ? et ne doivent-elles pas changer avec le changement de la division du travail… Chacun des modes de la division du travail avait des instruments de production spécifiques. Par exemple du milieu du XVIIe jusqu’au milieu du XVIIIe siècle les hommes ne faisaient pas tout à la main. Ils possédaient des instruments, et des instruments très compliqués, comme les métiers, les navires, les leviers, etc., etc. Ainsi, rien de plus ridicule, que de faire découler les machines comme conséquence de la division du travail en général. »
Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II…, p. 488.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 337.
la philosophie et l’histoire de la philosophie, qui peuvent porter ces questions de la Grèce antique à nos jours, contiennent aussi le germe de ce qui est nouveau ; cela donne l’espérance que l’inattendu peut advenir et le plus important est que cette idée ouvre des perspectives différentes sur ces questions actuelles.