Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 215.
1. Introduction à la recherche de la division du travail chez Marx et Engels
Une étude détaillée du sujet de la division du travail chez Marx et Engels dans tous leurs ouvrages dépasserait sans doute les limites de cette recherche. De plus, ce sujet est trop vaste pour faire l’objet d’une seule étude distincte. Il y a plus de mille cinq cents références directes au terme de la division du travail dans les œuvres complètes de Marx et Engels.29 Dans celles-ci, ils parlent parfois directement de la division du travail ; ce qui est parfois la clé d’une analyse profonde. Nous ne nous tromperions pas beaucoup si nous affirmions directement que la division du travail est un point clé pour les approches philosophiques de Marx et Engels. Il est essentiel de comprendre ce point en fonction du sujet de cette étude. Notre première limitation sur cette étude des œuvres écrites par Marx et Engels est une analyse par rapport à notre sujet, c’est-à-dire à la question directrice pour savoir comment Marx et Engels traitent de la division du travail. Donc, nous les étudions par rapport aux limites de cette question. Outre la difficulté créée par la surabondance d’ouvrages à examiner, la complexité de la structure des ouvrages nous la rend également difficile. Cette complexité est liée au contenu de leurs œuvres dans lesquelles il y a leur analyse des points de vue des penseurs de l’histoire de la philosophie et de l’économie sur la division du travail, leurs critiques de leurs prédécesseurs sur la division du travail et leurs réponses aux critiques qui leur sont adressées. Ce qui nous permet de faciliter cette recherche, c’est qu’on peut comprendre toutes leurs autres dispositions quand on comprend l’analyse fondamentale de Marx et Engels sur la division du travail. De cette manière, nous pouvons considérer la division du travail comme une seule réalité totale qui peut
29 Nous l’avons cherché dans MECW (Marx-Engels Collected Works) cinquante volumes en anglais et dans Die Marx-Engels-Gesamtausgabe (MEGA) soixante volumes en allemande. Outre les références directes à la division du travail ; il y a six sections d’œuvre dont le titre contient la division du travail, parmi eux, une des références n’est qu’un court article.
Karl Marx, Friedrich Engels, Gesamtausgabe (Mega), Dietz.
Karl Marx, Friedrich Engels, Collected Works (MECW), Lawrence & Wishart
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être analysée selon plusieurs aspects. La compréhension de cela cause également la compréhension des inférences faites de ce terme. Quoiqu’il nous semble possible de mentionner quelque modèle de division du travail qui se répètent dans contextes différents et dans leurs différentes œuvres, il serait plus correct d’un point de vue méthodologique de les mentionner à la fin de ce chapitre ; parce que nous avons inféré ces modèles de l’analyse de ces œuvres. Notre deuxième limitation sur cette étude est le choix d’une œuvre comme un guide essentiel : nous traitons principalement l’Idéologie Allemande, qui est l’un des premiers écrits de Marx et Engels, dans cette partie de l’étude. Nous pensons que cette œuvre contient une analyse en plus, une histoire de la division du travail dans son intégralité pour comprendre leur conception. Ce texte est considéré comme une rupture avec Hegel et Feuerbach,30 ou comme un texte très instructif qui propose un examen historique crucial des aspects divergents et interdépendants de la théorie hégélienne dans son engagement global à l’histoire de la pensée. Il n’est pas important à ce stade de savoir duquel des deux interprétations nous sommes les plus proches, parce que l’objet de notre étude consiste à parvenir à une présentation détaillée de la division du travail plutôt qu’à une conclusion avec une évaluation sur ce texte.
Le fait que nous examinons sur la base du travail l’Idéologie Allemande, ne signifie pas que nous ne traitons pas d’autres travaux. En particulier, afin de suivre plus facilement les arguments, nous inclurons aussi les autres œuvres dans la mesure où ils contiennent les approches complémentaires sur la division du travail en suivant la chronologie des dates d’écriture des travaux.
2. La division du travail chez Marx dans les Manuscrits de 1844
Dans les Manuscrits de 1844, avant le chapitre intitulé « Le Travail Aliéné », où il traite du sujet de l’aliénation, Marx critique l’économie politique en acceptant premièrement son langage et ses lois comme des hypothèses et en commençant par ses propres prémisses. Ainsi Marx assume-t-il la propriété privée, la séparation du travail, du capital, de la terre et des salaires, le profit du capital, la rente foncière, ainsi que la division du travail, la concurrence, le concept de valeur d’échange. Marx prétend qu’il expose le fondement de l’économie politique par sa propre
30 Louis Althusser, Pour Marx…, pp. 28-29.
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terminologie, selon l’économie politique, l’ouvrier devient au niveau d’une marchandise, les marchandises sont devenues les plus basses, la misère de l’ouvrier est inversement proportionnelle à la puissance et à la magnificence de ce qu’il produit. La conséquence nécessaire de la concurrence est l’accumulation du capital entre quelques mains et donc le rétablissement plus terrible du monopole. Enfin, Marx soutient que la distinction entre capitaliste et propriétaire de la terre, comme la distinction entre le paysan et l’ouvrier de manufacture, disparaît, et que la société est divisée en deux classes, les propriétaires et les ouvriers sans propriété.
La séparation du capital, de la propriété foncière et du travail est une séparation mortelle et nuisible à l’ouvrier. Le revenu du propriétaire foncier et du capitaliste peut être augmenté par les produits industriels, tandis qu’il y a la rente foncière et profit du capital, mais le seul revenu de l’ouvrier vient de l’industrie. C’est la cause principale d’une intense concurrence entre les ouvriers. Dans cette séparation tripartite, le capital et la propriété foncière ne doivent pas nécessairement être fixés comme le travail d’ouvrier. Ces deux peuvent être facilement redirigés vers un autre canal.
La demande d’hommes nécessite la production des hommes, comme d’autres marchandises. Si la ressource humaine dépasse de loin cette demande ; une partie des ouvriers est condamnée à la mendicité ou à la famine, et l’existence de l’ouvrier est soumise aux mêmes conditions que l’existence d’une marchandise. L’ouvrier devient une marchandise et c’est une question de chance de trouver un acheteur. Si la ressource humaine (l’offre) est supérieure à cette demande, alors l’une des trois parties qui composent le prix (le profit, la rente foncière et le salaire), c’est-à-dire le salaire, est alors payée moins que le prix ordinaire et en conséquence, le prix du marché approche au prix naturel. Contrairement aux deux autres parties, quoiqu’il s’échange moins que son prix, le travail ne peut réduire son offre sur le marché, parce qu’il est difficile pour l’ouvrier de détourner son travail vers d’autres canaux à cause de l’accroissement de la division du travail. Pour cette raison, lorsque le prix du marché s’approche du prix naturel, l’ouvrier perd le plus. Alors que le capitaliste peut facilement diriger son capital vers un autre canal, l’ouvrier qui est confiné à une certaine branche du travail, est démuni et cela oblige l’ouvrier à se soumettre à toutes les exigences de ce capitaliste.
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La richesse d’une société augmente lorsque son capital et ses revenus augmentent, et Marx décrit dans quelles situations cela se réalise. Le premier est l’accumulation du capital entre les mains du capitaliste en tant que travail accumulé, et le troisième, la diminution de nombre des capitalistes et l’augmentation du nombre des ouvriers en raison de la concurrence entre les capitalistes. La deuxième est liée à la division du travail : l’accumulation du capital augmente la division du travail, et la division du travail augmente le nombre des ouvriers. Cependant, le processus inverse suivant fonctionne également : la division du travail augmente l’accumulation du capital et l’augmentation du nombre des ouvriers augmente la division du travail. D’une part, la division du travail accroît, d’autre part, l’accumulation du capital augmente. En conséquence, l’ouvrier devient dépendant du travail et une forme particulière du travail qui est unilatérale, partiale et mécanique. Elle se mécanise sous la pression physique et morale, devient plus dépendante de la fluctuation des prix du marché, des investissements en capital, de l’humeur du capitaliste. Avec l’augmentation du nombre d’ouvriers, la concurrence se durcit si bien que le salaire baisse, et dans le système des fabriques il atteint sa limite ultime. La division du travail rend l’ouvrier unilatéral et dépendant, et désormais non seulement les autres ouvriers, mais aussi les machines deviennent les concurrents. L’augmentation des salaires présuppose également l’accumulation de capital. Cela cause l’accroissement de l’industrie et le nombre des ouvriers, et par conséquent, il y aura un plus grand agrégat des produits, c’est-à-dire une surproduction dont la conséquence inévitable est, soit le congédiement des ouvriers, soit une baisse des salaires. Ce sont les conséquences de l’accroissement de la richesse de la société. Lorsque cette augmentation atteint son sommet, les excédents c’est-à-dire les ouvriers doivent mourir. Alors, dans le déclin de la société, la misère du travailleur augmente et il y a de la misère et des difficultés, dans son progrès, une misère statique si la société est dans un état pleinement progrès.
La division du travail augmente la richesse et le raffinement de la société. Mais alors qu’elle augmente le pouvoir productif du travail, elle appauvrit l’ouvrier et le réduit à une machine. Alors que le travail assure l’accumulation du capital et donc le bien-être croissant de la société, il rend l’ouvrier de plus en plus dépendant du capitaliste. Il le pousse à une concurrence intense. L’ouvrier se trouve dans le précipité de la surproduction puis dans la stagnation. Selon les penseurs de l’économie
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politique,31 l’intérêt de l’ouvrier n’est jamais en conflit avec l’intérêt de la société, mais en réalité, la société s’oppose toujours aux intérêts de l’ouvrier.
Marx poursuit sa critique de l’économie politique : l’économie politique commence par le fait accompli de la propriété privée, mais ne l’explique pas. Il exprime le processus matériel de la propriété privée avec des formules générales et abstraites, puis adopte ces formules comme les lois. Elle ne peut comprendre ces lois, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas exposer comment la propriété privée se forme de sa propre structure. L’économie politique n’explique pas l’origine de la séparation entre le travail et le capital, et entre le capital et la terre. Par exemple, lorsqu’il définit la relation entre les salaires et le profit, il considère les intérêts des capitalistes comme la raison la plus essentielle ; c’est-à-dire qu’il accepte ce qu’il a besoin de développer et d’expliquer tel qu’il est. C’est la même chose pour la concurrence, la concurrence est expliquée avec les circonstances extérieures. Elle n’indique rien sur la mesure dans laquelle ces circonstances extérieures et apparemment accidentelles sont le résultat d’un progrès nécessaire. Selon l’économie politique, l’échange est aussi un fait accidentel et selon Marx « les seuls mobiles qu’elle mette en mouvement sont la soif de richesses et la guerre entre convoitises, la concurrence. »32
Comme l’économie politique ne comprend pas les relations intérieures de ce mouvement, par exemple, elle considère les suivants comme les opposés : la doctrine du monopole et celle de la concurrence, la doctrine des corporations et celle de l’indépendance industrielle, la doctrine de la grande propriété foncière et celle de la division de la propriété foncière. Selon l’économie politique, la concurrence, l’indépendance industrielle et la division de la propriété foncière sont les conséquences pas du tout nécessaires, inévitables et naturelles mais fortuites, préméditées et violentes de la propriété féodale et de la corporation.
Selon Marx, il faut comprendre la relation essentielle entre la propriété privée, l’avidité de l’argent et la séparation du travail, du
31 Dans les Manuscrits de 1844, Marx analyse Adam Smith, Jean Baptiste Say, James Mill qui sont les penseurs de l’économie politique, à savoir « les économistes » avec les mots de Marx.
32 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 56.
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capital, de la propriété foncière, de même, la relation entre l’échange et la concurrence, entre la valeur humaine et la dépréciation, entre le monopole et la concurrence, entre toute cette aliénation et le système monétaire.
Lorsque les penseurs de l’économie politique tentent d’expliquer cela, il tente de revenir à une préhistoire fictive et elle n’explique rien. Cela rend la question floue. L’économiste suppose déjà comme un fait ce qu’il doit déduire, à savoir, par exemple la relation nécessaire de la division du travail et l’échange. Donc, alors que la division du travail doit être expliquée par les économistes politiques, elle est déjà acceptée comme un fait historique. Contrairement à cette approche, Marx prétend qu’il commence par le fait économique actuel et il discute quatre aspects d’une aliénation : l’une est l’aliénation du produit du travail; l’autre est l’aliénation de l’acte de production ; le troisième est l’aliénation de soi, à savoir de sa propre humanité, la quatrième est l’aliénation des autres, de la société.
Ce fait économique actuel est suivant : Plus le travailleur produit de richesse, plus il s’appauvrit, parce que l’accroissement de la richesse est l’accroissement du pouvoir et de l’étendue de la production, c’est-à-dire l’augmentation des marchandises. Alors l’ouvrier lui-même en tant que marchandise devient proportionnellement moins cher. À mesure que la valeur du monde des choses augmente, le monde des hommes devient sans valeur. Les marchandises sont produites par le travail, et dans la mesure où le travail produit des marchandises, il se produit lui-même et produit l’ouvrier comme une marchandise. Le produit du travail devient une chose étrangère au travail, c’est-à-dire que le produit du travail de l’ouvrier devient un pouvoir indépendant de l’ouvrier. Le produit du travail est transféré à un objet, c’est-à-dire que le produit du travail est maintenant du travail matérialisé. C’est l’objectivation du travail. La réalisation du travail est l’objectivation du travail. Il a perdu sa subjectivité. Dans ces conditions économiques, la réalisation du travail apparaît comme perte de réalisation, l’objectivation comme perte d’objet et asservissement à l’objet, et l’appropriation comme l’aliénation (Entfremdung) et l’extériorisation ( Entäusserung).33
33 Nous suivons l’interprétation selon laquelle Marx utilise indifféremment les termes Entfremdung et Entäusserung comme le promulgue Franck Fischbach : « Entfremdung ou Entäusserung – Marx usant indifféremment des deux termes et les donnant même parfois pour synonymes dans une
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La réalisation du travail est une telle perte de réalité que l’ouvrier perd la réalité au point de mourir de faim. L’objectivation est une telle perte de l’objet que l’ouvrier est privé des objets dont il a besoin non seulement pour vivre, mais aussi pour travailler. L’appropriation de l’objet est une telle aliénation que plus l’ouvrier produit, moins il peut avoir ; plus il produit, plus il tombe sous la domination de son propre produit, le capital. Comme le dit Marx : « l’ouvrier est à l’égard du produit de son travail dans le même rapport qu’à l’égard d’un objet étranger » 34 il met sa vie dans l’objet ; mais sa vie n’appartient plus à lui-même, mais à l’objet. Ainsi, plus cette activité est grande, plus la privation d’objets de l’ouvrier est grande. Le produit de son travail n’est pas lui-même. L’extériorisation de l’ouvrier de son produit signifie que son travail est un objet, une existence extérieure ; cependant, cela signifie aussi qu’il existe en dehors de lui indépendamment et comme quelque chose d’autre que lui, et qu’il y a un pouvoir contre lui. En d’autres termes, la vie qu’il transfère à l’objet le confronte à quelque chose d’étranger et d’hostile à lui.
L’ouvrier trouve sa possibilité de produire le monde sensible extérieur au moyen de la nature. La nature est la matière par laquelle le travail est effectué, dans laquelle il est effectué, « à partir de laquelle
même phrase ». Fischbach traduit Entäusserung comme l’extériorisation dans son article intitulé Activité, Passivité, Aliénation Une lecture des Manuscrits de 1844. Dans cet article, il utilise la traduction de Emile Bottigelli, Paris, Éditions Sociales, 1962 en la modifiant toutes les fois qu’il le jugera nécessaire en se fondant sur le texte des Marx-Engels, Werke, (Ost-) Berlin, Dietz Verlag. Emile Bottigelli traduit parfois Entäusserung comme « dessaisissement » dans cette édition.
Franck Fischbach, « Activité, Passivité, Aliénation. Une lecture des Manuscrits de 1844 », Actuel Marx, vol. 39, no. 1, 2006, pp. 13-27.
Une autre traduction de ce mot comme l’extranéation est faite par Jean Hyppolite dans la traduction de La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel. L’article intitulé Entfremdung et Entäusserung dans la phénoménologie de l’esprit de Hegel qui est écrit par J. Gauvin fait l’objet d’étude la différence des deux termes chez Hegel en critiquant les traductions françaises de Hegel qui rendent parfois par le seul mot l’aliénation.
J. Gauvin, « Entfremdung et Entäusserung dans la Phēnomēnologie de l’Esprit de Hegel. » Archives de Philosophie, vol 25, no. 3/4 (1962): pp. 555–571.
34 Karl Marx, Manuscrits de 1844, présentation, traduction et notes de Emile Bottigelli, Paris : Editions Sociales, 1972, p. 57.
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et au moyen de laquelle il produit. »35 Le travail trouve ses objets dans la nature c’est-à-dire que la nature les fournit. La nature fournit aussi les moyens de subsistance comme la nourriture de l’ouvrier. Par conséquent, plus l’ouvrier approprie le monde extérieur avec le travail ; le monde extérieur sensible n’est plus un objet de son propre travail et il devient plus loin un moyen de la nourriture. Ainsi, il se soumet à l’objet qu’il produit en deux manières : l’une est qu’elle accepte un objet pour travailler c’est-à-dire qu’elle accepte un travail, et l’autre qu’elle accepte des moyens de subsistance.36 En conséquence, il existe d’abord comme un ouvrier puis comme un sujet physique. Tant qu’il est un ouvrier, il peut survivre comme un sujet physique et il ne peut être un ouvrier que comme un sujet physique.
L’économie politique ignore la relation directe entre l’ouvrier (le travail) et la production, et dissimule l’aliénation qui réside dans le travail lui-même. Les règles de l’économie politique expriment ainsi l’aliénation de l’ouvrier à son objet : plus l’ouvrier produit, moins il consomme ses propres produits ; plus il crée de valeur, plus il devient sans valeur ; plus son produit a une forme, plus l’ouvrier lui-même devient difforme ; plus son objet est civilisé, plus l’ouvrier devient barbare, plus le travail est dur, plus l’ouvrier est faible, plus le travail devient ingénieux, moins l’ouvrier devient ingénieux et esclave de la nature.
L’aliénation du travail de l’ouvrier au produit n’est possible qu’avec son aliénation dans la production. Ainsi, Marx explique l’aliénation de l’ouvrier à la production comme suit : c’est pourquoi, en travaillant, il ne s’affirme pas, s’ignore (se nie), n’est pas heureux, mais malheureux, ne développe pas librement son énergie physique et mentale, gaspille son corps et détruit son esprit. Le travail est d’emblée extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence. C’est pourquoi, en travaillant, il ne s’affirme pas, il s’ignore (se nie), il n’est pas heureux, mais malheureux, ne développe pas librement son énergie physique et mentale, gaspille son corps et détruit son esprit. C’est pourquoi il ne peut être lui-même que hors du travail, et pendant
35 Ibid., p. 58.
36 « l’ouvrier devient donc un esclave de son objet : premièrement, il reçoit un objet de travail, c’est-à-dire du travail, et, deuxièmement, il reçoit des moyens de subsistance. »
Ibid.
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qu’il travaille, il est hors de lui-même. Il est lui-même quand il ne travaille pas, il n’est pas lui-même quand il travaille. Il ne travaille pas volontairement, il travaille forcément. Ce n’est donc pas la satisfaction d’un besoin ; c’est simplement un moyen de satisfaire des besoins qui lui sont extérieurs. Donc, le moment où la compulsion qui présente le caractère d’aliénation disparaît, l’ouvrier évite le travail. Le travail extérieur est un travail d’abnégation, d’humiliation dans lequel l’homme s’aliène. Enfin, un autre caractère externe du travail pour l’ouvrier c’est le fait que le travail appartient à quelqu’un d’autre, pas à l’ouvrier, et que l’ouvrier appartient à quelqu’un d’autre, il n’appartient pas à lui-même pendant qu’il travaille.
L’aliénation de sa propre humanité est liée au fait que l’homme est une sorte d’être générique. L’homme est un être générique parce qu’il considère son espèce comme son objet et il se traite en même temps comme un être universel et libre. L’homme fait partie de la nature, sa vie physique et intellectuelle dépend de la nature. Pour ne pas mourir, l’homme doit être en relation constante avec la nature. La nature est un moyen direct de vivre et le matériel, l’objet et l’outil de l’activité vivante. En aliénant l’homme de la nature et de lui-même, de ses propres fonctions actives, de son activité vitale, le travail aliéné aliène l’espèce de l’homme. Elle fait de la vie générique un moyen de la vie de l’individu. Premièrement, il éloigne la vie de l’espèce et la vie individuelle, et deuxièmement il fait de la vie individuelle, dans sa forme abstraite, le but de la vie de l’espèce, également dans sa forme abstraite et aliénée. Donc, le travail, l’activité vitale, la vie productive ne semblent à l’homme que le but de satisfaire un besoin, le besoin de maintenir l’existence physique. En effet, « la vie productive est la vie générique. C’est la vie engendrant la vie. »37
L’animal est directement identique à son activité vitale. Pour l’homme, l’activité vitale est l’objet de la volonté et de la conscience. Il y a une activité de vie consciente. Ceci distingue immédiatement l’homme de l’activité vitale animale. Pour cette raison, l’homme est un être générique. C’est un être conscient, sa propre vie est un objet pour l’homme. Son activité est donc une activité libre. Le travail aliéné renverse cette relation, l’activité vitale de l’homme devient un simple outil de sa propre existence. Les humains et les animaux produisent
37 Ibid., p. 62
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; mais les animaux produisent pour leurs besoins directs ou ceux de leur progéniture tels que le nid et l’abri, c’est-à-dire que, par une nécessité physique, leurs produits sont unilatéraux. En revanche, les hommes produisent universellement, c’est-à-dire qu’ils produisent indépendamment de leurs besoins physiques. L’animal ne fait que se reproduire, l’homme reproduit toute la nature. Le produit d’un animal est directement lié à son corps physique, tandis que l’homme confronte librement son produit. L’animal produit selon les mesures de son espèce ; d’autre part, selon celle de toutes les espèces. L’homme sait comment appliquer la mesure qui se trouve dans l’objet.
Selon Marx, l’homme a un être générique dans l’élaboration de son monde objectif. Cette production est sa vie d’espèce active. Avec cette production, la nature apparaît comme l’œuvre de l’homme et sa propre réalité. « L’objet du travail est donc l’objectivation de la vie générique de l’homme »38 parce qu’il se dédouble non seulement, comme dans la conscience, intellectuellement, mais aussi activement, dans la réalité, et donc il se voit dans un monde qu’il a créé. Par conséquent, lorsque l’objet de sa propre production est ôté à l’homme, le travail aliéné ôte l’homme à sa vie générique, à sa véritable réalité générique. Le travail aliéné fait de la vie générique de l’homme un moyen de son existence physique. Par conséquent, la conscience de l’homme de sa propre espèce est ainsi transformée par l’aliénation en un moyen par lequel la vie de l’espèce est un outil.
Le travail aliéné fait de l’être générique de l’homme un moyen de son existence individuelle. Comme elle aliène la nature extérieure et l’essence intellectuelle de l’homme, son existence humaine, elle aliène aussi l’homme de son propre corps. Le travail aliéné aliène l’homme du produit de son propre travail, de son activité vitale, de l’être générique. La conséquence est l’aliénation de l’homme à l’homme. « Lorsque l’homme est en face de lui-même, c’est l’autre qui lui fait face. »39 Ce qui est valide pour la relation de l’homme à son travail, au produit de son travail et à lui-même, est également valide pour le travail de l’homme et de l’objet du travail à un autre homme. En fait, la proposition selon laquelle le caractère d’espèce de l’homme s’aliène signifie qu’un homme est aliéné à cause d’un autre, et que tous les deux
38 Ibid., p. 64.
39 Ibid., pp. 64-65.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 225.
sont aliénés à l’essence humaine. Ainsi, à partir d’un fait d’économie politique, Marx formule-t-il le concept de l’aliénation de l’ouvrier et de sa production comme le travail aliéné et extériorisé. Selon Marx, il complète seulement une analyse d’un fait qui appartient à l’économie politique. Il examine désormais comment le concept de travail aliéné et extériorisé est dans la réalité. Si le produit du travail est extérieur à l’ouvrier, il apparaît comme un pouvoir étranger. Ce produit ne peut appartenir qu’un autre être humain (pas aux dieux, à la nature). Marx parle de la domination de cette personne sur la production et le produit. Cette personne forme la relation de l’ouvrier avec le travail aliéné et extériorisé, à travers le travail aliéné et extériorisé. La relation de l’ouvrier au travail crée la relation du travail au maître du travail. La propriété privée est donc le produit, le résultat, la conclusion nécessaire du travail extériorisé, la relation extérieure de l’ouvrier à la nature et à lui-même. D’autre part, la propriété privée est un moyen de réaliser l’auto-exclusion du travail.
L’économie politique commence par le travail comme une véritable esprit de production ; mais elle ne donne rien au travail, tout à la propriété privée. La société, selon l’économiste, est une société civile qui est composée des citoyens et chacun dans cette société est un ensemble de besoins. Dans la mesure où chacun est un moyen pour l’autre, l’homme existe pour l’autre comme l’autre existe pour lui. L’économiste réduit tout à l’homme, mais il ignore toutes les déterminations qui considèrent l’individu comme capitaliste ou ouvrier. Selon l’économie politique, la définition de la division du travail est expliquée de la façon suivante par Marx :
La division du travail est l’expression économique du caractère social du travail dans le cadre de l’aliénation. Ou bien, comme le travail n’est qu’une expression de l’activité de l’homme dans le cadre de l’aliénation, l’expression de la manifestation de la vie comme aliénation de la vie, la division du travail n’est pas elle-même une autre chose que le fait de poser, d’une manière devenue étrangère, aliénée, l’activité humaine comme une acti-vité générique réelle, ou comme l’activité de l’homme comme un être générique.40
Quant à l’essence de la division du travail, lorsque le travail a été accepté comme l’essence de la propriété privée par l’économie politique,
40 Ibid., pp. 111-112.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 226.
la division du travail a dû être comptée comme l’un des principaux moteurs de la production de richesse. Quant aux formes aliénées et extériorisées de l’activité humaine comme une activité de l’espèce, sur ce sujet, selon Marx les économistes politiques se contredisent souvent.
Marx cite divers économistes politiques sur ce sujet : selon Adam Smith, la raison de la division du travail est le penchant à l’échange, qu’à la suite de ce penchant, des différences de talents se produisent chez les hommes, le pouvoir d’échange est limité par l’étendue du marché, et dans le progrès de la société, tout le monde devient une sorte de commerçant dans une certaine mesure, et la société peut être nommée comme une société commerciale, l’accumulation du capital cause l’accroissement de la division du travail et la division du travail cause l’accumulation du capital. Destutt de Tracy est celui qui affirme que la société est une suite d’échanges mutuels et que l’essence de la société, c’est le commerce. Selon Jean-Baptiste Say qui affirme qu’il n’y a pas de production sans changement, la division du travail augmentera la production, mais cela réduira les capacités de l’individu. Fryderyk Skarbek soutient que le changement et la division du travail se conditionnent mutuellement. Et James Mill prétend que l’échange (le commerce) est la conséquence de la division du travail.
Néanmoins, toute l’économie politique moderne s’accorde à postuler que la division du travail et la richesse de la production, la division du travail et l’accumulation du capital se déterminent mutuellement ; tout comme elle reconnaît que la propriété privée peut produire la division du travail la plus utile et la plus complète.
Selon Marx, contrairement à Say, Adam Smith évalue l’échange comme un fait accidentel plutôt que fondamental ; c’est-à-dire qu’elle n’est pas une partie essentielle du caractère de la société ; parce que sans l’échange, il pourrait y avoir société, mais encore, selon lui, elle est nécessaire dans une société avancée. Skarbek sépare les pouvoirs individuels de l’homme (l’intelligence et la capacité physique de travailler) des forces socialement acquises (le changement et la division du travail) et il soutient que la propriété privée est la prémisse nécessaire de l’échange. Skarbek dit objectivement ce que Smith, Say et Ricardo expriment lorsqu’ils manifestent l’intérêt personnel comme la base de l’échange et le commerce comme la forme essentielle et suffisante d’échange. Mill, au contraire, considère le commerce comme la
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conséquence de la division du travail, réduisant ainsi l’activité humaine à un mouvement mécanique : chaque personne doit être confiée à une sphère du travail aussi réduite que possible. La division du travail et l’utilisation des machines augmentent la richesse de production, cela implique une production à grande échelle de richesses, et donc de produits. C’est à cause de cela que les grandes manufactures se forment.
Marx explique la raison de l’intérêt extrême de l’économie politique à ce sujet comme suit : l’échange et la division du travail constitue « l’expression visiblement aliénée de l’activité et de la force essentielle de l’homme en tant qu’activité et force essentielle génériques » 41.
La proposition selon laquelle la division du travail et l’échange sont fondés sur la propriété privée n’est rien d’autre que l’affirmation de l’essence de la propriété privée comme le travail. Marx prétend que l’économiste ne peut pas déterminer cela. Selon lui, « la division du travail et l’échange sont des formes de la propriété privée »42 et dans le commencement, la vie humaine a besoin de la propriété privée pour se réaliser, mais maintenant elle désire l’abolition de la propriété privée.
Les économistes politiques louent ce caractère social de l’économie politique fondée sur la division du travail et l’échange, mais en même temps, ils confessent inconsciemment la contradiction suivante : la fondation de la société s’appuie sur certains intérêts non sociaux. Donc, il faut examiner que le penchant à l’échange, enraciné dans l’égoïsme, comme cause ou effet réciproque de la division du travail.
Donc, il faut examiner que le penchant à l’échange, enraciné dans l’égoïsme, comme cause ou effet réciproque de la division du travail. Ce chapitre de Manuscrits 1844 sur la division du travail se termine par cette déclaration suivante de Marx : « Intelligence de la propriété privée libre dans la division du travail »43
41 Ibid., p. 117.
42 Ibid.
43 Cette phrase est incomplète parce que cette partie du manuscrit s’interrompt dans le texte original.
Ibid., p. 118.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 228.
3. La division du travail et ses effets sur les ouvriers chez Engels dans la Situation de la Classe Laborieuse en Angleterre
Avant de commencer une étude de l’œuvre intitulée L’Idéologie Allemande, nous partageons brièvement les informations données par Engels sur la division du travail dans sa recherche intitulée la Situation de la Classe Laborieuse en Angleterre ; parce que les observations détaillées dans cette œuvre sont incluses comme les faits historiques dans les arguments de Marx et Engels jusqu’à leurs derniers travaux. Dans cette œuvre, Engels explique que la révolution industrielle qui transforme la société britannique également créée le prolétariat, et avec cette transformation, la société s’introduit dans un processus de polarisation. La disposition de ce processus est la formation d’un prolétariat croissant et d’une petite bourgeoisie de capitalistes croissants dans une société de plus en plus urbanisée. L’essor de l’industrialisme capitaliste détruit les petits producteurs marchands, la paysannerie et la petite bourgeoisie, et la disparition et le déclin de ces couches intermédiaires privent l’ouvrier de la possibilité de devenir un petit maître, le forçant à devenir le prolétariat. Ce processus de polarisation et d’urbanisation n’est pas temporaire. L’industrie mécanisée à grande échelle exige des investissements toujours croissants de capital, et la division du travail qu’elle introduit exige la concentration d’une grande masse de prolétaires.
L’introduction du machinisme cause la naissance du prolétariat. Le développement rapide de l’industrie manufacturière nécessite des ouvriers, et les salaires augmentent, et la masse des ouvriers immigre des districts agricoles vers les villes. La population augmente considérablement, et la quasi-totalité de cette augmentation se réalise dans le prolétariat.
L’industrie manufacturière devient importante, transformant l’outil en machine, l’atelier en usine, et donc la petite bourgeoisie ouvrière en prolétariat ouvrier et les négociants en industriels. La petite bourgeoisie est ainsi très tôt opprimée et la population est réduite à deux éléments opposés, les ouvriers et les capitalistes. Cela est aussi même chez les artisans et le commerce, en dehors de l’industrie. Les anciens maîtres et les compagnons sont remplacés par de grands capitalistes et des ouvriers qui ne s’attendent pas à s’élever au-dessus de leur propre
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classe. L’artisanat est réalisé dans le style industrialisé ; la division du travail est strictement appliquée et les petits artisans qui ne pouvaient rivaliser avec les grands établissements sont contraints de rejoindre le prolétariat.
En même temps, l’élimination des anciennes réglementations artisanales et la disparition de la petite bourgeoisie néantisent la possibilité pour les ouvriers de rejoindre la classe moyenne. Jusque-là, ces gens avaient toujours eu une possibilité de créer une entreprise et de travailler elle-même comme maître-artisan, d’employer peut-être des maîtres ou des compagnons. Lorsque les industriels éliminent les maîtres artisans et qu’un capital important est nécessaire pour faire fonctionner l’entreprise de manière indépendante, la classe ouvrière devient pour la première fois une partie permanente et intégrale de la population ; alors qu’autrefois ce n’était qu’un passage intermédiaire menant à la bourgeoisie. Mais désormais, l’ouvrier n’a plus d’autre possibilité que de rester ouvrier pour le reste de sa vie.
La propriété de la manufacture est centralisée entre les mains d’une poignée de personnes. La manufacture exige de gros capitaux ; avec ce capital, ils fondent les immenses entreprises qui détruisent la petite bourgeoisie d’affaires ; il subordonne les forces de la nature et il écarte ainsi le travailleur manuel individuel du marché. La division du travail, l’application de la force hydraulique et surtout de la force de la vapeur à l’industrie et aux machines sont les trois moteurs principaux de la manufacture. C’est la manufacture qui change le monde depuis le dix-huitième siècle. L’industrie à petite échelle crée la classe moyenne et celle à grande échelle crée la classe ouvrière et il donne le pouvoir aux élus de la classe moyenne, mais seulement pour les renverser un jour plus sûrement. À l’époque d’Engels, la manufacture a déjà éliminé les innombrables petits membres de la classe moyenne et selon lui, c’est désormais le fait historique que certains sont devenus de riches capitalistes, d’autres sont devenus de pauvres ouvriers.
Engels décrit comment la division du travail commence avec le filage et le tissage, et Marx se réfère à plusieurs reprises à ce point de départ de la division du travail dans ses travaux. La première invention qui cause un changement radical dans la situation des ouvriers anglais
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est une machine à filer le coton44 découverte en 1764. Avant cette invention, le tisserand attend le fil, mais l’invention permet de fabriquer plus de fil que les tisserands ne peuvent en utiliser. Le prix de production du fil diminue, donc, les produits de tissage deviennent moins chers, la demande augmente encore plus et cela nécessite plus de tisserands, les salaires des tisserands augmentent, les anciens tisserands-paysans, qui commencent à gagner plus, progressivement abandonnent l’agriculture et ils consacrent tout leur temps au tissage. Cela élimine l’ancienne relation entre le fileur et le tisserand. Le fil n’est plus filé et tissé dans le même endroit, par exemple, les familles entières commencent à vivre uniquement de la filature et si une famille n’a pas un moyen d’acheter cette machine, elle doit vivre du salaire du père. C’est ainsi que la division du travail commence avec le filage et le tissage, et elle se perfectionne si infiniment dans l’industrie. Une autre invention encore permet de produire un certain nombre de nouvelles marchandises à moindre prix, par suite d’une méthode de coulée d’acier en Angleterre en 1760 qui est très efficace pour épargner le travail. Le commerce des métaux de l’Angleterre devient important pour la première fois à mesure que le matériel disponible devient plus pur, les outils sont plus avancés, les nouvelles machines se perfectionnent et la division du travail s’intensifie.
Dans ce texte, pour la première fois, Engels étudie les effets directs de la division du travail sur l’ouvrier. L’un des principaux motifs de démoralisation des ouvriers est leur confinement au travail. Si l’activité volontaire et productive est l’un des plaisirs suprêmes de l’humanité, le travail forcé est le châtiment le plus sévère et le plus humiliant. C’est terrifiant qu’un homme est confiné à faire une chose particulière contre sa volonté, tous les jours, du matin au soir. Et plus l’ouvrier se sent humain, plus son travail lui paraît détestable ; parce qu’il comprend la limitation et l’inutilité du travail. L’ouvrier travaille nécessairement pour de l’argent c’est-à-dire pour quelque chose qui est autre que le travail lui-même. Sa motivation n’est pas ni l’amour de travail ni l’impulsion naturelle. Il travaille si longtemps et dans une monotonie si ininterrompue que dès les premiers jours le travail devient une torture.
44 Cette machine est nommée Jenny, inventée par un tisserand James Hargreaves Stanhill près de Blackburn dans le Lancashire du Nord (1764).
Karl Marx, Frederick Engels, Collected Works : Volume 4, Marx and Engels 1844-45, Lawrence & Wishart, 2010, p. 310.
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La division du travail aussi multiplie les influences brutales du travail forcé. Dans de nombreux domaines du travail, la fonction de l’ouvrier est réduite à un petit geste de la main purement mécanique, un geste de la main qui se répète chaque minute et qui ne change pas au fil des ans. Un ouvrier, par exemple, aiguise une aiguille ou lime des engrenages dans la fabrication des épingles douze heures par jour et depuis l’enfance, et il vit dans les conditions imposées au prolétariat anglais depuis le commencement. Cet ouvrier n’a aucune possibilité de conserver le sentiment et le talent humains dans sa trentième année. Depuis la première utilisation de la vapeur dans l’industrie, le travail d’un même ouvrier est devenu plus facile, le travail dépendant la force musculaire est diminué, mais le travail lui-même, du début à la fin, est devenu futile et monotone ; il n’y a plus de possibilité de l’effort intellectuel parce que cela nécessite juste assez d’attention pour éviter l’ouvrier de penser à autre chose. Et, un tel confinement à un travail, un travail qui prend tout son temps, qui laisse peu de temps même pour manger et dormir, qui ne laisse pas le temps de se promener en plein air ou de profiter de la nature, qui laisse peu de temps pour l’effort intellectuel signifie la disparition des caractéristiques humaines. Mais Engels manifeste son espoir : selon lui, là encore, l’ouvrier doit faire son choix ; il doit ou bien se résigner à son sort, devenir un bon ouvrier, servir fidèlement l’intérêt de la bourgeoisie. Dans ce cas, il devient très certainement une brute, ou bien il doit se rebeller, se battre pour son humanité jusqu’au bout, et cela, il ne peut le faire que dans la lutte contre la bourgeoisie.
Engels se focalise sur la condition physique et sur la santé des ouvriers, en particulier les femmes et les enfants dans le système d’usine, où la division du travail est intense. La production de la dentelle est compliquée et par une division du travail rigide, il y a une multitude de branches. Le fil est d’abord bobiné par des filles de quatorze ans et plus (elles sont bobinoirs -enrouleurs-); après que les bobines ont monté sur les cadres de machine par des garçons de huit ans et plus (ils sont enfileurs), qui font passer le fil par de fines ouvertures (il y en a approximativement 1800 dans chaque machine ), et le dirigent vers sa destination ; et le tisserand tisse la dentelle qui sort de la machine comme une large pièce de tissu et la dentelle est démontée par de tout petits enfants qui tirent les fils de liaison. Cette opération est nommée comme courir ou dessiner de la dentelle (running ou drawing lace), et les enfants eux-mêmes sont les passeurs (lace-runners) de dentelle. La
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dentelle devient enfin prête à la vente. Cette irrégularité dans le travail cause un poste de travail souvent les nuits et cela cause le désordre de la vie, en même temps une multitude de maux physiques et moraux, surtout les rapports sexuels précoces et effrénés.
Engels étudie le sujet des problèmes de santé qui surviennent surtout chez les ouvriers enfants en raison des longues heures de travail, des horaires de travail irréguliers, de la nature du travail et surtout du travail continu, monotone et unilatéral liés à la division du travail. Ce travail est très mauvais pour les yeux. Les enfileurs ont les symptômes comme les inflammations de l’œil, les douleurs, les larmes et une incertitude momentanée de la vision. Pour les enrouleurs, il y a des inflammations fréquentes de la cornée, de nombreux cas d’amaurose et de cataracte. Le travail des tisserands eux-mêmes est très difficile : Trois hommes à tour de rôle, chacun travaillant huit heures, parce que le cadre est en service pendant vingt-quatre heures et le remplissage de 1800 ouvertures avec du fil occupent trois enfants au moins deux heures.
La plupart de cadres commence à actionner par la vapeur, et le travail des hommes est ainsi remplacé par la machine ; Engels se réfère au rapport intitulé Children’s Employment Report, selon lequel, les usines à dentelle sont le seul où les enfants travaillent. Cela peut être expliqué de deux façons : soit le travail des tisserands est transféré vers les grandes salles d’ateliers ces derniers temps, soit le tissage à la vapeur est devenu assez général. Le plus malsain de tous est le travail des lace-runners, qui sont généralement des enfants de sept ans, et même de cinq et quatre ans. Ils suivent un fil qui doit être retiré par une aiguille d’une texture compliquée. C’est très mauvais pour les yeux, surtout quand le travail dure généralement de quatorze à seize heures. Il y a des maladies comme la myopie au mieux, la cécité incurable par l’amaurose. Mais, à part cela, les enfants, à force de s’asseoir perpétuellement courbés, deviennent faibles et ils ont l’étroitesse de la cage thoracique. Leur autre maladie est le scrofuleux à cause de la mauvaise digestion. Les fonctions désordonnées de l’utérus et la courbure de la colonne vertébrale sont presque universelles chez les filles. Tous les enfants employés à la production de dentelles sont pâles, faibles, délicats, trop petits et prédisposés à la maladie. Ils souffrent habituellement d’une débilité générale, des évanouissements fréquents, des douleurs dans la tête, les côtés, le dos et les hanches, des palpitations de cœur, des
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nausées, des vomissements et d’un manque d’appétit, de la courbure de la colonne vertébrale, des scrofules et de la tuberculose. Les plaintes des ouvriers femmes d’anémie, d’accouchement difficile et de fausse couche sont universelles. Selon Children’s Employment Report, les enfants sont généralement mal vêtus, et ils reçoivent une nourriture insuffisante comme seulement du pain et du thé, souvent pas de viande pendant des mois. Par exemple, Birmingham est une vaste cité où existent de nombreuses grandes usines appartenant à des capitalistes. La division du travail se réalise dans les moindres détails. Le système manufacturier et l’utilisation de la vapeur poussent les ouvriers d’une grande multitude de femmes et d’enfants à travailler et Birmingham n’échappe pas à cette règle.
4. La division du travail chez Marx et Engels dans l’Ideologie Allemande
Selon Marx et Engels, la critique allemande, même dans les travaux les plus récents de l’époque, ne s’éloigne pas du domaine de la philosophie et elle est construite sur la base du système de Hegel. Quoique chaque critique ait la prétention d’avoir surpassé Hegel, aucun de ces critiques modernes ne réussit complètement sortir au système hégélien. La dépendance à Hegel est la cause essentielle de cela. Leurs arguments contre Hegel aussi bien que contre leurs rivaux sont limités. Chacun d’eux ne traite que d’un aspect du système de Hegel. Ces aspects sont dirigés à la fois contre le système de Hegel et contre d’autres aspects repris par d’autres, c’est la raison essentielle de la limitation des arguments.
Les Vieux-Hégéliens comprennent toutes les choses dès qu’elles sont réduites à une catégorie de logique chez Hegel. Les Jeunes-Hégéliens, au contraire, les critique tout en leur attribuant des conceptions religieuses ou en déclarant qu’elles sont théologiques. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils croient que la religion, les concepts et un principe universel sont dominants dans le monde actuel. La différence entre eux est que l’un s’oppose à cette souveraineté, tandis que l’autre la considère comme légitime et l’exalte. Tous les deux considèrent les conceptions, les pensées, les concepts, c’est-à-dire tous les produits de la conscience, comme une entité indépendante, comme les relations véritables des sociétés humaines. Selon les Jeunes Hégéliens, les relations humaines, les limites des hommes, ainsi que ce
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que les hommes font, sont les produits de leurs propres consciences. La méthode pour supprimer cette limite est de remplacer leur conscience actuelle par une conscience humaine, critique ou égoïste, c’est-à-dire qu’ils posent un postulat moral. Cette exigence, c’est-à-dire l’exigence d’un changement dans la conscience, est une exigence d’appropriation de ce qui est présent par une interprétation fondamentalement différente, même si elle est interprétée d’une manière différente. Cela n’est que des discours contre des discours. Et finalement, ils ne sont certainement pas contre le monde qui existe réellement. Aucun de ces philosophes n’a remis en question la relation entre la philosophie allemande et la réalité allemande, à savoir la relation entre leur critique et leur environnement matériel. Marx et Engels sont confrontés à leur propre conscience philosophique ancienne quand ils critiquent particulièrement les Jeunes Hégéliens. Selon Marx et Engels, les points de commencement ne sont pas des prémisses ou des dogmes arbitraires. Ils sont des prédécesseurs véritables qui sont les individus réels, leurs activités et les conditions matérielles de leur vie. Ils trouvent ces conditions de vie matérielles prêtes et les reproduisent par leurs propres activités. « La condition première de toute histoire humaine est naturellement l’existence d’êtres humains vivants. »45
Par conséquent, premièrement, l’organisation matérielle de ces individus et les relations qu’ils forment avec le reste de la nature en raison de cette organisation doivent être déterminées. Selon Marx et Engels, « toute histoire doit partir de ces fondements naturels et de leur modification au cours de l’histoire par l’action humaine. »46
Les hommes sont conditionnés par leur organisation matérielle. Ils commencent à produire leurs propres moyens de subsistance et en même temps commencent à se séparer des animaux. Alors que les hommes produisent leurs propres moyens de subsistance, ils produisent aussi indirectement leur propre vie matérielle. La manière dont les
45 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 45.
46 « Alle Geschichtschreibung muß von diesen natürlichen Grundlagen & ihrer Modifikation im Lauf der Geschichte durch die Aktion der Menschen ausgehen. »
Karl Marx, Friedrich Engels, Joseph Weydemeyer, Marx-Engels-Jahrbuch 2003, Die Deutsche Ideologie : Artikel, Druckvorlagen, Entwürfe, Reinschriftenfragmente und Notizen zu « I. Feuerbach » und « II. Sankt Bruno », Berlin : Akademie Verlag, 2004, p.107.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 235.
hommes produisent les moyens de subsistance dépend d’abord de la nature des moyens de subsistance qui s’y trouvent et qui sont reproduits.
Les hommes trouvent d’abord ces moyens de subsistance, et ensuite ils doivent les reproduire. Ce mode de production est la reproduction de l’existence physique des individus ; mais il n’est pas constitué uniquement cela. Une forme particulière d’activité que les individus accomplissent est une forme particulière d’expression de leur vie. C’est un certain mode de vie. La manière dont les individus présentent leur vie révèle aussi ce qu’ils sont. Ainsi, les individus révèlent ce qu’ils sont par ce qu’ils produisent, et comment ils produisent. Par conséquent, ce que sont les individus dépend de leurs conditions matérielles de production. Cette production se réalise avec l’accroissement de la population. Cela suppose des relations (verkehr) entre individus. La forme de cette relation est encore une fois déterminée par la production.
Les relations entre les nations sont déterminées par l’augmentation de leur propre pouvoir productif et la division du travail et les relations économiques internes. C’est une approche généralement acceptée. Les relations entre les deux nations dépendent également de l’augmentation de sa production et de ses relations économiques internes et externes. Autrement dit, le niveau d’augmentation des pouvoirs productifs d’une nation apparaît plus clairement dans le niveau d’accroissement de la division du travail.
Tout nouveau pouvoir productif, dans la mesure où il n’est pas une simple expansion quantitative des pouvoirs productifs déjà connus, par exemple la culture de nouvelles terres, aboutit à une nouvelle formation de la division du travail, à savoir l’accroissement de la division du travail.
Le travail industriel et commercial est d’abord séparé du travail agricole par la division du travail à l’intérieur d’une nation. Ensuite, la distinction entre la ville et la campagne et le conflit de leurs intérêts se forment. L’accroissement ultérieur de la division du travail sépare le travail commercial du travail industriel. En même temps, du fait de la division du travail au sein des branches différentes du travail, les nouvelles divisions des fonctions apparaissent entre les individus qui travaillent ensemble. La position de ces groupes des individus les uns par rapport aux autres, dans l’agriculture, l’industrie et le commerce,
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est déterminée par le mode d’organisation47 du travail. Ce sont le patriarcat, l’esclavage, les ordres48 (stände) les classes. Ces mêmes conditions (dans la circonstance d’une relation économique plus avancée) se retrouvent également dans les relations entre les différentes nations. Chaque étape de progrès de la division du travail, correspond une forme différente de propriété. L’étape actuelle de la division du travail détermine également les relations des individus entre eux à l’égard de matériel, de moyen et de produit du travail.
La première forme de propriété est historiquement la propriété tribale (Stammeigenthum). À ce stade, les hommes vivent en chassant et en pêchant, en élevant le bétail ou, au mieux, en cultivant la terre, et il s’agit d’une étape de production peu développée. La division du travail est encore très peu développée et elle consiste en une nouvelle extension de la division naturelle du travail existant dans la famille. Ainsi, l’organisation sociale se limite à l’expansion de la famille : chefs patriarcaux, les membres de tribu et enfin esclaves. L’esclavage qui est latent dans la famille se développe proportionnellement avec l’accroissement de la population et les besoins augmentent et les relations extérieures qui sont formées par la guerre et par le troc.
La deuxième forme de propriété historique est l’ancienne propriété communale et étatique (Gemeinde & Staatseigenthum). Il se forme lorsque plusieurs tribus s’unissent dans une cité par un accord ou la conquête. L’esclavage continue à ce stade. La propriété privée se développe d’abord avec des propriétés mobilières puis immobilières parallèlement à la propriété commune, mais comme une forme inhabituelle. Les citoyens ont le pouvoir sur les esclaves travailleurs en tant qu’une communauté, ils adhèrent donc à la forme de la propriété commune. Ils protègent cette forme de communauté contre les esclaves en raison de leur propriété privée. Par le développement de la propriété privée immobilière, la propriété communale, la souveraineté liée à celui et la structure sociale s’effondrent. La division du travail s’est développée à cette époque. Par cela, il devient possible d’observer l’opposition entre ville et campagne, plus tard, l’opposition des États fondés sur les intérêts citadins et les États fondés sur les intérêts ruraux, entre l’industrie et le commerce maritime à l’intérieur des
47 Betriebsweise : Les autres traductions possibles sont « le mode de fonctionnement » et « le mode d’exploitation. »
48 Les corporations
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villes. Les relations de classe entre les citoyens et les esclaves sont déjà développées. Avec ce développement de la propriété privée, les mêmes conditions, apparaissent ici pour la première fois. Ce sont celles que l’on retrouvera plus tard dans la propriété privée moderne, mais à plus grande échelle.
La propriété féodale ou la propriété corporative (la propriété par ordres)49 est la troisième forme de propriété. L’Antiquité commence à partir de la cité et ses terres périphériques. Le Moyen Âge, en revanche, commence à partir de la campagne en raison de la faible densité de population, de la population dispersée sur un grand territoire et de celle qui ne s’accroit pas en raison des invasions. Contrairement à la Grèce et à la Rome antiques, la féodalité commence sur un domaine plus grand préparé par l’expansion de l’agriculture et par les conquêtes romaines. Les derniers siècles de l’Empire romain décadent et sa conquête par les barbares dévastent une partie importante des pouvoirs productifs, l’agriculture recule, l’industrie devient incapable de trouver un marché et elle s’effondre, le commerce stagne ou il cesse forcément et la population rurale et urbaine diminue. Ces conditions et la manière d’organisation de la conquête déterminées par ces conditions, avec l’influence de la structure militaire germanique, ont conduit au développement de la propriété féodale. Comme la propriété tribale et communale, la propriété féodale repose sur une communauté ; mais cette communauté est servie de petits paysans, de serfs, non des esclaves comme dans l’ancienne société comme classe directement productrice à cause des conditions différentes dans la production. Donc, les éléments opposés changent, les petits paysans et les serfs sont ceux qui sont contre cette communauté. Quand le développement de la féodalité est complet, l’opposition surgit simultanément entre les villes et la féodalité. La structure hiérarchique de la propriété de la terre et les corps armés associés fournissent à la noblesse le pouvoir sur les serfs. Cette organisation féodale est une association contre la classe productive comme dans l’ancienne propriété communale. La forme de l’association et la relation entre les deux parties sont différentes à cause des conditions différentes de production. La même époque, la propriété corporative c’est-à-dire l’organisation féodale du métier se trouve dans les villes et la propriété s’appuie essentiellement sur le travail de chacun. Les corporations sont formées en raison de la nécessité d’une association contre l’union des nobles brigandes, du besoin d’espaces
49 En Allemande : ständische Eigenthum
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de marché couverts communs, de la concurrence accroissant, des serfs qui immigrent en masse vers les villes et de la structure féodale du pays dans son ensemble. C’est une époque où les industriels sont aussi des marchands. Le petit capital accumulé par des artisans individuels et leur nombre stable contre la population en accroissant forment la relation compagnon-apprenti, qui est une hiérarchie semblable à celle de la campagne. Donc, il y a deux types de travail qui caractérisent essentiellement l’époque féodale : l’un est celui des serfs et l’autre est celle d’individu et des compagnons. À l’époque féodale, la propriété repose sur la propriété foncière qui subjugue le travail des serfs et sur le travail de l’individu qui subjugue aussi le travail des compagnons avec son petit capital. L’organisation de l’un et de l’autre est déterminée par des conditions de production étroites. Ce sont la petite agriculture et l’industrie artisanale.
À l’époque de la féodalité avancée, il y a peu de division du travail et l’opposition entre la ville et la campagne se trouve dans chaque pays. La division en ordres est très nette, mais en dehors de la séparation des princes, de la noblesse, du clergé et des paysans dans les campagnes, et celle des maîtres, des compagnons, des apprentis et des journaliers dans les villes, il n’y a aucune division significative. Il y a deux obstacles qui s’opposent au développement de la division du travail dans l’agriculture : la mise en culture de la terre en petites parcelles et l’émergence parallèle de la production domestique propre des paysans. Dans l’industrie féodale, il n’y a pas de division du travail à l’intérieur de chaque métier, et il y en a très peu parmi les métiers divers. La séparation entre l’industrie et le commerce, qui existe toujours dans les villes anciennes, se manifeste beaucoup plus tard dans les villes nouvelles, lorsque les villes commencent à former les relations les unes aux autres. L’unification des grandes terres sous des royaumes féodaux est une exigence pour la noblesse terrienne ainsi que pour les villes. Donc, partout, il y a un monarque qui gouverne l’organisation de la noblesse.
La première conclusion de tout cela est que certains individus engagés dans une certaine activité productive entrent dans ces certaines relations sociales et politiques. À chaque étape différente et dans chaque exemple séparé, il faut révéler la relation de la structure sociale et politique à la production. La structure sociale et l’État sont dérivés toujours des processus de vie des hommes ; mais
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 239.
ces individus ne sont pas des individus qu’eux-mêmes ou d’autres imaginent dans leur esprit, mais réels, c’est-à-dire des individus qui agissent, qui produisent matériellement. Premièrement, pour vivre, les hommes ont des besoins comme la nourriture et la boisson, l’abri, les vêtements et les autres choses. La première action historique est donc la production de moyens de subsistance pour procurer ces besoins, c’est la production de la vie matérielle. C’est la condition fondamentale de toute histoire. Deuxièmement, le premier besoin qui est procuré, l’acte de procurer ce besoin et l’acquisition des moyens par lesquels il est procuré, engendrent de nouveaux besoins et cette production de nouveaux besoins est aussi le premier acte historique. Troisièmement, les personnes qui sont impliquées dans le développement historique dès le début, qui reproduisent leur propre vie chaque jour, commencent à produire de nouvelles personnes, à se reproduire : c’est la relation entre l’homme et la femme, entre les parents et les enfants, c’est-à-dire la famille. La famille, qui est initialement la seule relation sociale, devient plus tard une relation secondaire lorsque les besoins croissants forment de nouvelles relations sociales, et l’accroissement du nombre de personnes cause de nouveaux besoins. Il faut que ces trois aspects de l’activité sociale ne considèrent pas comme trois étapes différentes dans l’histoire, mais qu’ils les considèrent comme les trois aspects qui coexistent depuis l’aube de l’humanité.
La production de la vie apparaît comme une relation qui a un double caractère par la procréation, comme une relation naturelle et par la production, par le travail comme une relation sociale. C’est une relation sociale à cause de la coopération de plusieurs individus. Ses conditions, sa manière et son but ne sont nullement importants pour la conclusion suivante : il s’ensuit qu’un mode de production ou niveau industriels spécifique est toujours combiné avec un mode de coopération ou niveau social spécifique et ce mode de coopération est un pouvoir productif. Autrement dit, il s’ensuit qu’un certain mode de production ou une certaine étape de l’industrie coexistent toujours avec une certaine forme de coopération ou une certaine étape sociale. L’ensemble des pouvoirs productifs accessibles par les hommes déterminent la condition de ce qui est social. Ainsi, l’histoire de l’humanité doit-elle toujours être étudiée et traitée en relation avec l’histoire de l’industrie et des échanges.50
50 « also die „Geschichte der Menschheit” stets im Zusammenhange mit der Geschichte der Industrie & des Austausches studirt & bearbeitet werden muß. »
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 240.
Dès le début, donc, un contexte matériel se forme entre les hommes, celui-ci est déterminé par les besoins et le mode de production, qui sont aussi vieux que les êtres humains. C’est ce contexte qui assume continuellement de nouvelles formes et qui pose une histoire.
Les hommes produisent leur vie. Ils la produisent d’une certaine manière. Elle est déterminée par leur organisation physique et de même manière, leur conscience est déterminée par celui-ci. Ceux sont les quatre aspects des premières relations historiques des peuples, à savoir les quatre moments des celles-ci. La conscience qu’un individu doit former les relations avec les autres individus qui l’entourent est le début de la conscience qu’il vit en société. Il est une simple conscience grégaire, et la seule qui distingue l’homme de l’animal à ce point, c’est que l’instinct est remplacé par la conscience, autrement dit, l’instinct est un instinct conscient. Cette conscience grégaire ou tribale se développe par la croissance de la productivité, l’augmentation des besoins et l’accroissement de la population. Ce dernier est la base de deux précédents. Donc, à l’origine, la division du travail n’est que dans l’acte sexuel (Theilung der Arbeit im Geschlechtsakt), mais plus tard, par nature, la division du travail se développe spontanément à cause des dispositions naturelles (der natürlichen Anlage), des besoins (Bedürfnisse) et des accidents (Zufälle). L’un des exemples pour ces dispositions naturelles est la force corporelle. Dans le moment où une division du travail matériel et intellectuel se réalise, la division du travail est désormais une véritable division. Autrement dit, la division du travail ne devient division réelle qu’à partir du moment où se produit une division du travail matériel et intellectuel.51 À partir de ce moment, la conscience peut véritablement s’imaginer être autre chose que la conscience de la pratique existante. Elle peut imaginer vraiment quelque chose sans représenter quoi que ce soit de réel et à partir de ce moment, la conscience est capable de se séparer du monde et elle a désormais une capacité de former la théorie pure, la théologie, la philosophie, la morale, etc. Mais même s’ils sont en conflit avec les conditions présentes, la raison en est que les conditions sociales présentes sont entrées en conflit avec le pouvoir productif existant. Le pouvoir productif, la condition
Karl Marx, Friedrich Engels, Joseph Weydemeyer, Marx-Engels-Jahrbuch 2003…, p. 15.
51 « Die Theilung der Arbeit wird erst wirklich Theilung von dem Augenblicke an, wo eine Theilung der materiellen & geistigen Arbeit eintritt .»
Ibid., p.17.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 241.
sociale et la conscience sont les trois moments qui peuvent et doivent entrer en conflit l’un avec l’autre ; parce que la possibilité et même la réalité de la répartition d’une activité intellectuelle et matérielle, d’un divertissement et d’un travail, d’une production et d’une consommation parmi les individus différents met le jour par la division du travail. La seule voie pour que ces trois n’entrent pas en conflit les unes avec les autres est l’abolition à nouveau la division du travail. La division du travail, qui contient toutes ces contradictions, est elle-même fondée sur la division naturelle du travail au sein de la famille et sur la division de la société en familles séparées et opposées. L’état germinale de la propriété c’est-à-dire la première forme de celui-ci se trouve dans la famille, où la femme et les enfants sont les esclaves de l’homme dans la maison. Au sein de la famille, elle est encore très grossière c’est-à-dire qu’elle est une forme de l’esclavage latent et de la propriété primordiale. Et cette propriété, même à ce stade, est parfaitement équivalente de la définition des économistes modernes qui définissent la propriété comme ayant la disposition du pouvoir de travail d’autrui. La division du travail et la propriété privée sont des termes identiques : dans l’un, ce qui est dit relativement à l’activité est ce qui est dit dans l’autre relativement au produit de l’activité. La division du travail contient pareillement le conflit entre les intérêts des individus ou des familles et l’intérêt commun de tous les individus qui ont une relation. Cet intérêt commun n’existe pas seulement dans l’imagination, comme « universel », mais dans la réalité comme dépendance mutuelle des individus entre lesquels le travail est divisé. Enfin, tant que les hommes sont dans la société naturelle, tant que la division entre intérêt privé et intérêt commun existe, tant que l’activité n’est pas volontairement, mais naturellement divisée, la division du travail est le premier exemple de l’aliénation. Donc, l’action propre de l’homme devient un pouvoir étranger et opposé qui le subjugue au lieu d’être contrôlé par lui, comme le promulguent Marx et Engels :
En effet, dès l’instant où le travail commence à être réparti, cha-cun a une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir; il est chasseur, pêcheur ou ber-ger ou critique critique, et il doit le demeurer s’il ne veut pas perdre ses moyens d’existence;52
52 « Sowie nämlich die Arbeit vertheilt zu werden anfängt, hat jeder einen bestimmten ausschließlichen Kreis der Thätigkeit, der ihm aufgedrängt wird, aus dem er nicht heraus kann; er ist Jäger, Fischer oder Hirt oder
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Et ils ont recours à une condition où il n’y aurait pas de division du travail comme le promulguent Marx et Engels :
tandis que dans la société communiste, où chacun n’a pas une sphère d’activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production gé-nérale ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chas-seur, pêcheur ou critique.53
Cette fixation de l’activité sociale est l’une des raisons essentielles de l’évolution historique. Par cela, le produit propre de l’homme devient un pouvoir objectif qui le domine, qui se développe au-delà de son contrôle, qui frustre ses attentes et qui ruine ses calculs. Le pouvoir productif qui augmente c’est-à-dire la puissance sociale est une conséquence de la coopération de différents individus conditionnée par la division du travail. Il n’apparaît pas à ces individus comme leur propre pouvoir combiné, puisque cette coopération n’est pas volontaire, mais naturelle. Cette aliénation est expliquée par Marx et Engels comme suit :
elle leur apparaît au contraire comme une puissance étrangère, située en dehors d’eux, dont ils ne savent ni d’où elle vient ni où elle va, qu’ils ne peuvent donc plus dominer et qui, à l’in-verse, parcourt maintenant une série particulière de phases et de stades de développement, si indépendante de la volonté et de la marche de l’humanité qu’elle dirige en vérité cette volonté et cette marche de l’humanité.54
kritischer Kritiker, & muß es bleiben, wenn er nicht die Mittel zum Leben verlieren will »
Ibid., p. 20.
53 « während in der kommunistischen Gesellschaft, wo Jeder nicht einen ausschließlichen Kreis der Thätigkeit hat, sondern sich in jedem beliebigen Zweige ausbilden kann, die Gesellschaft die allgemeine Produktion regelt & mir eben dadurch möglich macht, heute dies, morgen jenes zu thun, Morgens zu jagen, Nachmittags zu fischen, Abends Viehzucht zu treiben u. nach dem Essen zu kritisiren, wie ich gerade Lust habe, ohne je Jäger Fischer Hirt oder Kritiker zu werden. »
Ibid., pp. 20-21.
54 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 63.
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À partir de la contradiction entre intérêt privé et intérêts communs, que nous avons auparavant mentionnés, l’intérêt commun, sous le nom d’État, se transforme en une forme indépendante des intérêts réels individuels et collectifs. C’est aussi une apparence trompeuse du commun, mais il est toujours fondé sur la base des relations qui existent dans chaque famille et communauté tribale, telle que les liens du sang, la langue, la division du travail à plus grande échelle et d’autres intérêts. Pourtant, l’État est sous la forme de classes déjà conditionnées par la division du travail et dans lesquelles l’un domine tous les autres. Par conséquent, toutes les luttes au sein de l’État (par exemple, la lutte entre la démocratie, l’aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote) sont des formes illusoires de luttes réelles des différentes classes les unes contre les autres.
La forme de relation économique déterminée par les pouvoirs productifs dans toutes les étapes historiques précédentes et déterminant ensuite ces forces est la société bourgeoise (la société civile). La condition préalable et le fondement de cette société sont la famille simple et le clan c’est-à-dire la famille composée. La société bourgeoise comprend tous les contacts matériels des individus à une certaine étape de développement des pouvoirs productifs c’est-à-dire qu’elle implique toute la vie commerciale et industrielle d’une étape historique. Marx et Engels prétendent que la conception de l’histoire jusqu’à leur époque se contente de grands événements historiques niant les relations réelles. La compréhension de l’histoire qu’ils proposent contre cette compréhension consiste en l’explication du processus de production réelle, à partir de la production matérielle de la vie. Cette compréhension de l’histoire est fondée sur la considération de la relation économique liée au mode de production et qui est le produit de celle-ci c’est-à-dire la société bourgeoise avec ses différentes étapes, comme la base de toute histoire. Le résultat matériel de chaque étape comprend un ensemble des pouvoirs productifs et une relation historique que les humains forment avec la nature et entre eux, transmis à chaque génération par la génération précédente. Cela contient les pouvoirs productifs, les ressources de capital et les conditions qui sont modifiées par la nouvelle génération d’une part, mais qui, d’autre part, déterminent ses conditions de vie et lui donnent un certain développement, un certain caractère unique. Donc, selon cette compréhension de l’histoire, les hommes produisent les situations et les conditions ainsi que les situations et les circonstances produisent les hommes.
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L’ensemble des pouvoirs productifs, des ressources de capital et des formes de relations sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent présents est le fondement véritable de l’histoire. Selon Marx et Engels, dans toute la compréhension de l’histoire jusqu’à eux, ce fondement réel de l’histoire est ignoré complètement. Selon ce type de compréhension de l’histoire, il n’y a que des événements politiques fondamentaux et des actions étatiques, des luttes religieuses et théoriques en général. Quand il s’agit d’une période historique, l’historien partage l’illusion de cette période. Par exemple, si la forme grossière de division du travail qui se trouve dans les Indiens et les Égyptiens cause du système des castes dans les États et les religions de ces peuples, l’historien de ce type de compréhension écrit que le système des castes est le pouvoir qui crée la forme sociale de ce système grossier.
L’histoire devient de plus en plus l’histoire mondiale à mesure que les domaines séparés agissant les unes sur les autres s’étendent au cours de ce développement, et que l’isolement des nations est fini à cause du mode de production développé et par les relations économiques et la division du travail. Par exemple, une machine inventée en Angleterre change la vie des milliers de travailleurs en Inde et en Chine, ils peuvent être en chômage et ces empires peuvent être bouleversés. Cette invention peut devenir un phénomène historique universel. Cela signifie que la transformation de l’histoire en histoire mondiale est fondamentalement un acte purement matériel.
Les idées qui dominent une époque sont les idées de la classe dominante de celle-ci, et cette proposition est valide pour toutes les époques. La classe, qui est la puissance matérielle dominante de la société, est aussi la puissance intellectuelle dominante. Cette classe exerce un contrôle sur les moyens de production intellectuelle à cause de la possession des moyens matériels de production. En d’autres termes, il subordonne généralement les pensées de ceux qui manquent de moyens de production intellectuelle (geistigen Produktion). Les pensées dominantes sont la manifestation intellectuelle des relations matérielles dominantes c’est-à-dire qu’elles sont les relations matérielles dominantes qui sont considérées comme les pensées. Et ce sont surtout les relations qui causent la classe dominante. En effet, ce sont des pensées de sa domination. Les membres de la classe dominante déterminent tous les domaines d’une période historique par
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leur conscience. Donc, la pensée est l’un de ces domaines et ils régulent la production et la diffusion de la pensée de leur propre époque comme les penseurs. Par exemple, à une époque où la souveraineté est partagée entre la royauté, l’aristocratie et la bourgeoisie, la doctrine de la séparation des pouvoirs devient l’idée dominante et elle est considérée comme une loi éternelle. Selon Marx et Engels, la division du travail est l’un des principaux pouvoirs de l’histoire. « Elle se manifeste aussi dans la classe dominante sous forme de division entre le travail intellectuel et le travail matériel »55. Une partie de cette classe devient les penseurs de cette classe ; ces sont les idéologues qui exercent un métier. Quoique l’autre partie soit composée des membres actifs de cette classe, ils ne se focalisent pas sur ces pensées ou ils ont moins de temps que ceux-ci. Cette division est transformée parfois en une certaine opposition et en une certaine hostilité entre les deux côtés. Mais ce conflit intérieur à la classe est immédiatement dissolu, lorsqu’il y a une menace extérieure à son existence.
La division la plus importante entre le travail matériel et intellectuel est celle de la ville et de la campagne. L’opposition de la ville et la campagne commence avec le passage de la barbarie à la civilisation, de la tribu à l’État et se poursuit tout au long de l’histoire. La division de la population en deux grandes classes se manifeste dans cette opposition pour la première fois, et cette division s’appuie sur la division du travail et des moyens de production. La ville est un rassemblement de la population, des moyens de production, des capitaux, des plaisirs et des besoins en un centre. Mais c’est complètement l’inverse pour la campagne, il y a un isolement et une population clairsemée. L’opposition entre la ville et la campagne ne peut exister que dans le cadre de la propriété privée. Cette opposition est la manifestation la plus certaine de la subordination de l’individu à la division du travail, à un travail particulier qui lui est imposé. Elle transforme certains des individus en un animal limité des villes, les autres en un animal limité des campagnes. C’est une subordination qui reproduit chaque jour l’opposition des intérêts des deux individus. Le travail est ce qui est essentiel pour le pouvoir sur les individus, et tant qu’il y a ce pouvoir, la propriété privée continue à exister. La séparation de la ville et de la campagne est aussi la séparation du capital et de la propriété de la terre. Le début du développement du capital indépendamment de la propriété
55 Ibid., p. 76.
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foncière est aussi le début d’une propriété qui est fondée uniquement sur le travail et l’échange.
Dans les villes nouvellement fondées par les serfs (Leibeigenen) qui immigrent de la campagne vers la ville au Moyen Âge, la seule propriété de chacun, en dehors de son petit capital constitué d’outils indispensables à son métier, est son travail. Dans ces villes, les ouvriers de chaque métier s’unissent en corporations (Zünften) séparées.56 La division du travail entre les corporations est très peu, tandis qu’il n’y en a pas entre les ouvriers et qu’il n’y en a pas dans l’intérieur des corporations. Chaque ouvrier doit s’effectuer avec toutes les étapes du travail et il doit être capable de tout faire avec l’aide de ses outils. Les relations limitées et les liens faibles entre les villes, la rareté de la population et les besoins limités ne permettent pas à la division du travail d’avancer. Donc, celui qui veut devenir le maître d’un travail, doit maîtriser toutes les subtilités de son métier. Alors, les artisans médiévaux se focalisent sur leur travail particulier et le maîtrisent sérieusement. Mais pour cette raison même, tout artisan médiéval est entièrement dévoué à son travail, établissant un lien volontaire avec le travail, et il est beaucoup plus dépendant de son travail que l’ouvrier moderne qui reste indifférent
L’étape suivante dans le développement de la division du travail est la séparation de la production et du commerce. Cela cause la formation d’une classe distincte de commerçants. Alors que cette séparation est un héritage des villes établies, cela se réalise rapidement dans les nouvelles villes fondées que nous avons auparavant mentionnées. Par cela, la formation des relations commerciales au-delà de la ville et de ses périphéries devient possible. Sa réalisation dépend de la sécurité
56 Marx et Engels répètent les causes pour la fondation des corporations, qu’ils ont auparavant mentionné lorsqu’ils expliquent la propriété des ordres. Ils les énumèrent d’une façon plus détaillée comme suit : : La concurrence crée par la fuite des serfs vers les villes. La nécessité d’une force militaire organisée dans les villes à cause de la guerre ininterrompue menée par les campagnes contre les villes. La relation dans un certain type de travail à cause de la propriété commune. La nécessité de bâtiments pour le marché couverts communs à cause de la demande de la vente des marchandises par des artisans qui sont aussi des commerçants. L’autorisation des seules personnes autorisée d’entrer à ce bâtiment. L’exigence de préserver les qualifications professionnelles obtenues à grand peine. L’ordre féodal dans les campagnes.
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publique indispensable dans la campagne pour les commerçants qui voyagent nécessairement en caravanes armées au Moyen Âge, des moyens de transport disponibles et des besoins de la région marchande.
L’appropriation du commerce par une certaine classe et la diffusion du commerce par les commerçants au-delà de la périphérie de la ville forme rapidement une interaction entre la production et le commerce. Les villes contactent les unes avec les autres et les nouveaux outils sont transférés d’une ville à l’autre. La séparation entre la production et le commerce cause une nouvelle division de la production entre ces villes qui commence à peine à contenir une branche différente de l’industrie dominante. Les limitations locales commencent à disparaître progressivement. Au Moyen Âge, les citoyens des villes s’unissent obligatoirement pour la défense contre la noblesse terrienne. Mais l’accroissement du commerce et l’invention des moyens de transport oblige les villes à se rencontrer, qui ont les mêmes intérêts dans la lutte contre la même ville hostile. Une classe bourgeoise se forme de nombreuses communautés civiques locales dans diverses villes. Les conditions de vie des citoyens individuels deviennent des conditions communes à tous et indépendantes de chaque individu à cause de l’opposition entre les relations existantes et le mode de travail déterminé par lui. La bourgeoisie forme ces conditions dans la mesure où elle est libérée des liens féodaux. Ces conditions communes se sont transformées en conditions de classe par la formation de relations mutuelles entre les villes. Les mêmes conditions, les mêmes contradictions et les mêmes intérêts causent à peu près partout des mêmes coutumes. La bourgeoisie se développe lentement selon ses propres termes. Elle se divise en nouvelles sections selon la division du travail. Enfin, elle comprend toutes les classes possédantes déjà présentes, dans la mesure où toute la propriété est transformée en propriété industrielle ou commerciale. Cela signifie que le capital transforme la majorité des sans-propriétés et certaines des classes possédantes en une nouvelle classe, le prolétariat. Les individus peuvent devenir une classe s’ils mènent ensemble une lutte contre une autre classe. Sinon ils sont toujours des côtés opposés rivaux. D’autre part, la classe devient indépendante des individus. Ils trouvent leurs conditions de vie prédéterminées c’est-à-dire que la classe détermine leur développement personnel et leur position dans la vie. Donc, les individus s’assujettissent à la classe. « C’est le même phénomène que la subordination des individus isolés à la division du
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travail et ce phénomène ne peut être supprimé que si l’on supprime la propriété privée et le travail lui-même. »57
La pérennité ou la disparition des inventions et des pouvoirs productifs qui se développent dans une région dépend complètement de l’extension des échanges. S’il n’y a pas de commerce au-delà des périphéries, il y a des inventions séparément dans chaque région et ces inventions sont facilement disparues à cause de l’invasion par barbares ou des guerres ordinaires. La permanence des pouvoirs productifs est possible si le commerce devient un commerce mondial et s’ils s’appuient sur la grande industrie.
La conséquence immédiate de la division du travail entre les différentes villes est la naissance des manufactures ; la raison en est que certaines branches de production ont besoin de plus que les limites étroites du système de corporation. Les conditions préalables au développement des manufactures sont le commerce avec les nations étrangères, la croissance démographique et le capital qui commence à s’accumuler dans les corporations et les commerçants. Par le commerce extérieur, les manufactures se développent premièrement en Italie puis en Flandre ; ensuite, en Angleterre et en France, où elle s’est d’abord limitée au marché intérieur.
L’industrie qui nécessite dès le début l’utilisation d’une machine même dans sa forme la plus rudimentaire est l’industrie la plus propice au progrès. Le tissage est un travail que les paysans effectuent parallèlement à leurs autres métiers afin de procurer leurs besoins vestimentaires dans le passé. Le tissage est le premier travail qui réalise un grand progrès et il devient aussi la première branche de la manufacture par l’expansion du commerce, et il continue comme une branche essentielle de la manufacture. La relation entre l’ouvrier et l’employeur change entièrement par la naissance de la manufacture. Alors que dans les corporations, la relation patriarcale entre compagnon et maître persiste, dans les manufactures, elle est remplacée par la relation monétaire entre les ouvriers et les capitalistes. Cette relation, qui se poursuit dans un caractère patriarcal dans les campagnes et les petites villes, perd son caractère patriarcal dans les grandes villes qui sont des centres de manufacture. L’expansion du commerce, ainsi que la découverte des Amériques et la découverte de la route maritime vers les
57 Ibid., p. 93.
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Indes orientales, donne une impulsion à la manufacture et à la production en général. Les produits nouveaux, l’or et l’argent, qui sont amenés détériore la propriété foncière féodale et le train de vie des ouvriers. Le positionnement réciproque des classes change complètement. Les expéditions d’aventuriers, le colonialisme et surtout l’étendue des marchés et leur transformation en marchés mondiaux préparent une nouvelle période historique. La colonisation des pays découverts augmente la lutte commerciale des nations. Le développement du commerce et de la manufacture accélère l’accumulation du capital mobile, tandis que le capital naturel58 des corporations, qui manque de dynamisme pour augmenter la production, reste constant ou décroît. C’est pourquoi les corporations se dissolvent aisément face à la manufacture. Donc, le commerce et la manufacture créent la grande bourgeoisie. Dans les corporations, la petite bourgeoisie, qui n’est plus au pouvoir dans les villes, se rassemble, mais elle doit s’assujettir au pouvoir des grands commerçants et manufacturiers.
Le commerce et la manufacture se développent sérieusement au dix-septième siècle et ils se concentrent en Angleterre. Ils créent progressivement un marché mondial pour ce pays et cela cause une demande excessive pour les produits manufacturés de ce pays. Les pouvoirs productifs des manufactures ne sont pas suffisants pour la compensation de cette demande qui dépasse la capacité productive des forces productives. Cela cause la grande industrie, l’utilisation industrielle de la puissance de la nature, le machinisme et la division du travail plus raffinée. C’est la raison de la troisième période de propriété privée après le Moyen Âge. En Angleterre, il existe des conditions telles que la liberté de concurrence et le développement de la science théorique de la mécanique nécessaires au passage à cette période. En raison de la concurrence, les pays tentent premièrement de protéger leurs manufactures par de nouvelles réglementations douanières et par
58 Dans les villes, le capital était un capital naturel qui consistait en logement, outils et en une clientèle naturelle héréditaire, et il se transmettait forcément de père en fils, du fait de l’état encore embryonnaire des échanges et du manque de circulation qui en faisaient un bien impossible à réaliser. Contrairement au capital moderne, ce n’était pas un capital que l’on pouvait évaluer en argent et pour lequel peu importe qu’il soit investi dans une chose ou dans une autre ; c’était un capital lié directement au travail déterminé de son possesseur, inséparable de ce travail, partant un capital lié à un état »
Ibid., p. 82.
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la suite, ils sont obligés de passer à l’industrie à grande échelle sous ces droits de douane. Malgré ces droits pour les protéger, la grande industrie universalise la concurrence parce que la grande industrie est essentiellement libre-échangiste et les droits de douane ne sont qu’une mesure défensive dans les limites du libre-échange. La concurrence cause le développement des moyens de transport, elle fonde le marché mondial moderne, elle domine le commerce, transforme toutes sortes de capitaux en capital industriel, et elle assure ainsi une circulation rapide qui est nommée comme un système financier et une centralisation du capital. Elle oblige tous les individus à utiliser leurs énergies au maximum par la concurrence universelle. Dans la mesure où elle rend toutes les nations civilisées et chacun de leurs membres dépendant du monde entier pour leurs besoins, elle crée pour la première fois l’histoire du monde. Mais en même temps, elle détruit l’originalité naturelle des nations et elle élimine l’idéologie, la religion, la morale, etc. ou elle les supprime autant que possible, jusqu’au point où ils deviennent des mensonges. Elle subordonne « la science de la nature au capital » et enlève « à la division du travail sa dernière apparence de phénomène naturel ».59 En ce qui concerne le travail, sa nature intrinsèque n’est plus en cause ; parce que toutes leurs relations naturelles deviennent des relations monétaires. Cela crée de grandes villes industrielles qui sont fondées du jour au lendemain au lieu de villes nées naturellement. Partout où il domine, il détruit l’artisanat et les premières étapes de l’industrie en général. Elle achève la victoire de la ville sur la campagne. Sa principale condition préalable est le système automatisé. Elle constitue une grande masse de pouvoirs productifs qui se développent unilatéralement sous le régime de la propriété privée, et ils deviennent généralement des forces destructrices. De plus, la grande majorité de ces pouvoirs ne trouvent aucune utilité dans les limites du système de la propriété privée.
En général, la grande industrie crée partout les mêmes relations entre les classes sociales et elle détruit ainsi les particularités des nations individuelles. Et enfin, tandis que la bourgeoisie de chaque nation continue d’avoir des intérêts nationaux différents, la grande industrie crée une classe qui a le même intérêt pour chaque nation. Pour cette classe qui échappe à l’Ancien Monde et en même temps le défie, les nations sont mortes depuis longtemps. La grande industrie
59 Ibid., pp. 89-90.
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rend insoutenable pour l’ouvrier non seulement sa relation avec le capitaliste, mais aussi le travail lui-même.
Marx et Engels examinent les étapes de l’industrie qui contiennent les formes différentes de la propriété à partir du fait des moyens de production. Puisque les différentes manières de production sont les différentes formes d’organisation du travail, sont aussi les différentes formes de propriété. Donc, ils examinent les manières de production qui fait apparaître la différence entre les instruments de production naturels (naturwüchsigen Produktionsinstrumenten) et les instruments de production créés par la civilisation (die Civilisation geschaffenen Produktionsinstrumenten): cette première a un caractère local et les individus doivent être réunis ; mais pour la deuxième, la division du travail perfectionnée et le commerce étendu sont les conditions préalables, et dans la deuxième, les individus sont eux-mêmes les instruments de production à côté des instruments de production donnés. Les individus sont subordonnés à la nature dans la première, c’est-à-dire à un moyen naturel de production comme le champ cultivé, l’eau, etc., mais à un produit du travail dans la deuxième. La propriété (la propriété de la terre) se manifeste comme une domination directe et naturelle, dans la deuxième comme la domination du travail, surtout du capital, qui est du travail accumulé. Dans la première, les individus sont unis par un lien comme la famille, la tribu, la terre, etc. ; dans la deuxième, chacun est indépendant l’un de l’autre en ce sens et l’échange est le seul lien entre eux. Dans la première, l’échange est essentiellement un échange entre l’homme et la nature, à savoir, le travail de l’homme est échangé contre les produits de la nature. Dans la deuxième, l’échange est entre les individus. Dans la première, l’intelligence moyenne suffit et l’activité physique et l’activité intellectuelle ne sont pas encore séparées. Dans la deuxième, la division entre le travail matériel et intellectuel doit être réalisée. Dans la première, la domination du propriétaire sur le non-possédant repose sur les relations personnelles, elle peut être considérée comme une sorte de communauté. Dans la deuxième, cette domination devient une forme matérielle par la voie de la monnaie qui est devenue un troisième élément dans cette relation de domination. Dans la première, il y a une petite industrie et cette industrie est subordonnée à l’utilisation des moyens naturels de production, « de ce fait, sans répartition du travail entre les différents individus ». Dans la deuxième, « l’industrie n’existe que dans la division du travail et par cette division. » Dans l’industrie extractive (la chasse, la pêche et l’exploitation minière), la
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propriété privée coïncide encore avec le travail ; dans la petite industrie et dans toute l’agriculture antérieure, la propriété est une conséquence nécessaire des instruments de production présents ; mais dans la grande industrie, la contradiction entre l’instrument de production et la propriété privée est créée par la grande industrie elle-même. L’abolition de la propriété privée n’est donc possible qu’avec une production assez développée.
« Dans la grande industrie et la concurrence, toutes les conditions d’existence, les déterminations, les limitations des individus » se fondent « en deux formes les plus simples : la propriété privée et le travail ».60 Les individus sont complètement subordonnés à la division du travail, et donc ils sont aussi en complète dépendance les uns des autres. La propriété privée est formée dans le travail dans la mesure où elle s’oppose au travail par la nécessité d’accumulation. Elle est initialement dans une forme de la communauté, mais elle devient ultérieurement une forme moderne de la propriété privée. Et le rôle de la division du travail est d’emblée essentiel comme l’expliquent Marx et Engels :
D’emblée, la division du travail implique aussi déjà la division des conditions de travail, instruments et matériaux, et avec cette division, le morcellement du capital accumulé entre divers pro-priétaires et par suite le morcellement entre capital et travail ain-si que les diverses formes de la propriété elle-même. Plus la di-vision du travail se perfectionne, plus l’accumulation augmente, et plus ce morcellement se précise également de façon marquée. Le travail lui-même ne peut subsister qu’à la condition de ce morcellement.61
Marx et Engels en tirent deux conséquences : la première c’est que mesurant les critères de valeur dans le contexte de l’aliénation que nous avons mentionnée auparavant est l’opposition d’un ensemble des pouvoirs productifs qui sont considérés comme appartenant à des individus dans la mesure où ils ont la propriété privée et la masse majoritaire d’individus dépossédées de leurs pouvoirs et donc du contenu réel de toute leur vie. La deuxième conséquence est la perte complète de l’apparence de la « réalisation de soi » ( Selbstbethätigung
60 Ibid., p. 101.
61 Ibid., p. 102.
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)62 des individus par le travail, qui est le seul lien qui maintient encore les individus en relation avec les pouvoirs productifs et leur propre existence. Dans les périodes historiques précédentes, la production de la vie matérielle et l’autoactivité ( Selbstbethätigung ) sont séparées à cause de leur répartition parmi les individus différents et de la limitation des individus qui considère la production de la vie matérielle comme une forme subsidiaire ( untergeordnete) d’autoactivité. Mais, quand la division du travail se perfectionne, cette séparation s’approfondit, la vie matérielle se manifeste comme étant la fin, et le travail ( la production de la vie matérielle), comme étant le moyen. Si et seulement si, la propriété privée est abolie, la réalisation de soi peut coïncider avec la vie matérielle qui correspond la transformation du travail en réalisation de soi (die Verwandlung der Arbeit in Selbstbethätigung) et « la métamorphose des relations conditionnées jusqu’alors en relations des individus en tant qu’individus »63. Ainsi, la transformation par la division du travail des puissances personnelles (rapports) en pouvoirs objectifs s’abolit seulement si les individus soumettent ces pouvoirs objectifs et abolissent la division du travail.
Marx et Engels donnent un exemple de la période de la renaissance concernant les effets et l’abolition de la division du travail. Selon eux, Raphaël ne crée pas ses œuvres indépendamment de la division du travail qui existe à Rome à cette époque. Si l’on compare Raphaël avec Léonard de Vinci et Titien, on peut voir que les œuvres de Raphaël sont strictement liées au développement de Rome sous l’influence de Florence, et aux conditions de Léonard de Vinci à Florence et plus tard aux conditions de Titien à Venise. Les progrès techniques de l’art, l’organisation sociale, la division du travail dans la ville qu’il habite et la division du travail dans tous les pays avec lesquels cette ville entraîne une relation ont conditionné Raphaël ainsi que d’autres artistes. La capacité d’un individu comme Raphaël « dépend entièrement de la
62 Marx et Engels utilisent le mot « Selbstbethätigung » qui est composé de « selbst » et « Bestätigung ». Le mot « selbst » signifie « l’autonomie », « soi », « auto -» et le mot « bethätigung » signifie « activité ». Dans la traduction française que nous suivons, l’équivalent de ce terme est « manifestation de soi » , avec la note suivante : « Le contexte montre qu’il faut entendre par ce terme le déploiement d’une activité libre, portant en elle sa propre fin et mettant en œuvre toutes les facultés de l’individu. »
Ibid.
63 Ibid., p. 101.
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commande, qui dépend elle-même de la division du travail et du degré de culture atteint par les individus, dans ces conditions. »64
Le fait que le talent artistique ne se trouve que chez certains individus et, en relation avec cela, son anéantissement parmi les masses est le résultat indispensable de la division du travail. Même si chacun est un peintre parfait dans certaines conditions sociales, cela n’exclurait pas la possibilité d’être un peintre original. Dans cette circonstance, la distinction entre travail « humain » et travail « unique » devient absurde. Lorsque la division du travail est abolie, de toute manière, une artiste ne se confine plus à l’étroitesse locale et nationale et l’individu ne peut être que peintre, sculpteur, etc. sans le confinement à une branche particulière de l’art, qui exprime adéquatement l’étroitesse de son développement professionnel et sa dépendance à la division du travail. Dans une telle société, il n’y a pas de peintres, au contraire, il y a des individus qui, entre autres, s’occupent de la peinture.
Les individus sont toujours « partis d’eux-mêmes » en toutes circonstances, mais ils ne sont pas uniques tant qu’ils n’aient pas besoin de relation les uns avec les autres. Ils doivent entrer en relation parce que leurs besoins, c’est-à-dire leur nature et la manière de procurer ces besoins, les mettent en relation les uns avec les autres. Cette relation se réalise par la voie du rapport sexuel, de l’échange, de la division du travail. Les individus forment la relation les uns avec les autres en tant que les individus à une certaine étape du développement de leurs pouvoirs productifs et de leurs besoins. Lorsqu’ils entrent dans une relation qui détermine la production et les besoins, c’est le comportement personnel, individuel des individus, leur comportement les uns envers les autres en tant qu’individus, qui forme les relations présentes et les reforme chaque jour. Le développement d’un individu est déterminé par le développement de tous les autres individus avec lesquels il a directement ou indirectement un lien, et il existe un lien entre les différentes générations qui forment une relation les unes avec les autres. L’existence physique des générations suivantes dépend de leurs prédécesseurs. Elles héritent des pouvoirs productifs et des formes de relations économiques accumulées par leurs prédécesseurs. Et elles sont donc déterminées dans leurs propres relations mutuelles. Il y a un processus de développement qui se réalise et l’histoire d’un
64 Ibid., p. 433.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 255.
individu singulier ne peut en aucune manière être séparée de l’histoire des individus précédents et contemporains, au contraire, elle est déterminée par cette histoire. Par la division du travail, les relations personnelles évoluent inévitablement vers des relations de classe et elles deviennent permanentes. Même ce que l’individu a en soi est un produit de la société. « L’individu en soi, considéré pour soi, est du reste soumis à la division du travail, c’est par elle que son développement est déséquilibré, l’individu est mutilé, déterminé. »65
L’élimination de la situation actuelle dans laquelle les relations qui se transforment une existence autonome en face des individus, l’expulsion de la subordination des individus à l’aléatoire et l’élimination des relations personnelles subordonnées aux relations générales de classe, exigent l’abolition de la division du travail. Selon Marx et Engels, l’abolition de la division du travail et le développement des relations économiques et des pouvoirs productifs doivent atteindre un niveau universel tel que la propriété privée et la division du travail deviennent une entrave pour elle-même. L’abolition de la propriété privée n’est pas possible dans la condition du développement du caractère multiforme des individus parce que les relations économiques présentes et les pouvoirs productifs présents sont multiformes et ils ne peuvent être saisis que par des individus multiformes ; c’est-à-dire qu’ils peuvent devenir l’activité libre de leur vie.
5. La division du travail chez Marx dans Misère de la Philosophie
Marx écrit Misère de la philosophie, publié à Bruxelles et à Paris en juillet 1847, comme une réponse à l’œuvre Système des Contradictions économiques ou Philosophie de la Misère de Pierre-Joseph Proudhon. Cet ouvrage de Marx n’est pas seulement une critique de Proudhon. Il comprend une critique de la philosophie allemande ainsi qu’une analyse de l’économie politique. Marx critique d’abord l’affirmation de Proudhon selon laquelle la valeur d’échange dérive de la valeur d’usage. Selon Marx, Proudhon prétend que la grande majorité des produits ne se trouvent pas dans la nature qu’ils sont les résultats de l’industrie. Si les besoins sont plus que ce que la nature donne à l’homme, celui-ci recourt à la production industrielle. Un tel homme ne peut pas faire face à tant de choses, puisque sans production il n’y a pas de produit, un seul
65 Ibid., p. 480.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 256.
homme suppose les mains de plus d’une personne aidant à la production. Selon Marx, à partir du moment où la supposition de plus d’une main dans la production, cela signifie une production entière fondée sur la division du travail. Ainsi le besoin lui-même suppose-t-il l’existence de toute la division du travail, comme le suppose Proudhon. En postulant la division du travail, on suppose l’échange et, par conséquent, la valeur d’échange. Selon Marx, Proudhon prétend qu’un homme recourt à ses collaborateurs qui ont les fonctions différentes pour arriver à l’échange, après la situation où l’homme produit tout seul. Pour critiquer Proudhon sur le sujet de l’ordre de la supposition, Marx pose cette question suivante « Comment M, Proudhon, pour lequel la division du travail est supposée connue, s’y prend-il pour expliquer la valeur d’échange, qui pour lui est toujours l’inconnu ? ». Selon l’hypothèse de Proudhon, l’homme recourt à d’autres hommes pour éviter d’être seul à cause de ses besoins. Donc, les personnes avec lesquelles il coopère et les travaux différents, la division du travail et l’échange qu’elle signifie s’y trouvent déjà. Selon Marx, c’est la raison pour laquelle Proudhon n’est pas rigoureux en inférant la valeur d’échange de la valeur d’usage.
La première section du deuxième chapitre de Misère de la philosophie intitulée « la métaphysique de l’économie politique » contient les observations de Marx sur la méthode de Proudhon. Dans sa quatrième observation, Marx affirme que Proudhon apporte plusieurs changements dans l’application de la dialectique de Hegel à l’économie politique. Selon Proudhon, toute catégorie économique a deux aspects, une bonne et une mauvaise. Si le bon côté et le mauvais côté sont pris ensemble avec leurs avantages et leurs inconvénients, ils constituent la contradiction au sein de chaque catégorie économique. Le problème à résoudre, c’est liquider le mauvais côté tout en conservant le bon côté. Selon Marx : « Hegel n’a pas de problèmes à poser. Il n’a que la dialectique. M. Proudhon n’a de la dialectique de Hegel que le langage. Son mouvement dialectique, à lui, c’est la distinction dogmatique du bon et du mauvais. »66 Dans cette quatrième observation de la section intitulée La méthode, Marx considère Proudhon lui-même comme une catégorie et il examine ses bons et ses mauvais côtés, ses avantages et ses inconvénients. Après il commence une analyse de sa compréhension de la division du travail avec cette méthode même de
66 Karl Marx, Misère de la Philosophie, Réponse à la Philosophie de la Misère de M. Proudhon, avec une préface de F. Engels, Paris : V.Giard & E. Brière Libraires-Éditeurs, 1896, p.155.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 257.
Proudhon. Selon Proudhon, la division du travail ouvre la série des évolutions économiques. Le bon côté de la division du travail est que « considérée dans son essence, la division du travail est le mode selon lequel se réalise l’égalité des conditions et des intelligences. »67. Le mauvais côté de la division du travail est que « La division du travail est devenue pour nous un instrument de misère » et sa variante est que « le travail, en se divisant selon la loi qui lui est propre, et qui est la condition première de sa fécondité, aboutit à la négation de ses fins et se détruit lui-même »68. Le problème consiste à trouver « la recomposition qui efface les inconvénients de la division, tout en conservant ses effets utiles »69 .
Selon Proudhon, la division du travail est une loi éternelle, une catégorie simple et abstraite. Donc, selon lui, dans les différentes époques historiques, elle peut être expliquée par une idée, par un mot. De ce point de vue, l’explication des castes, des corporations, du régime manufacturier, de la grande industrie est possible par un seul mot « diviser ». Par conséquent, comme le promulgue Proudhon, l’analyse attentive du mot « diviser » anéantit la nécessité d’examiner les nombreuses influences qui donnent à la division du travail un caractère défini à chaque époque. Mais, selon Marx, l’histoire ne procède ni par les formules ni par les catégories. Les hommes qui produisent leurs propres relations sociales en fonction de leur productivité matérielle produisent aussi des idées, des catégories, c’est-à-dire des expressions abstraites idéales de ces mêmes relations sociales. Ainsi les catégories ne sont pas plus immortelles que les relations qu’elles expriment. Ce sont des produits historiques et temporaires. Selon Proudhon, les catégories sont la première cause du commencement. Pour lui, ce sont les catégories, et non les personnes, qui font l’histoire. L’abstraction, la catégorie telle qu’elle, sans les personnes et sans leur activité matérielle, est immortelle, immuable, immobile, mais c’est simplement une forme d’existence de l’esprit. C’est juste une autre manière de dire que l’abstraction en tant que telle est abstraite et cela est une ridiculité. Ainsi, vues comme des catégories, les relations économiques sont pour Proudhon des formules éternelles qui n’ont ni source ni progression. Mais, selon Marx, ce n’est pas possible de réduire l’histoire aux catégories surtout aux catégories
67 Ibid., p. 176.
68 Ibid.
69 Ibid.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 258.
de Proudhon. La réalisation de la première grande division du travail en Allemagne a durée trois cents ans et les villes se sont séparés de la campagne. À mesure que cette relation unique entre la ville et la campagne change, toute la société change. Par une analyse de ce seul aspect de la division du travail, on trouve de vieilles républiques et des fiefs chrétiens, l’ancienne Angleterre avec ses barons, et l’Angleterre moderne avec ses rois du coton. Par exemple, au quatorzième siècle et au quinzième siècle, il n’y a pas de colonies. Cette époque-là, il n’y a pas d’Amérique, au moins pour l’Europe. L’Asie n’existe qu’à travers Istanbul et la Méditerranée est le centre de l’activité commerciale. La division du travail au dix-septième siècle est très différente. Lorsque les Espagnols, les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français établissent des colonies partout dans le monde, l’étendue du marché donne un caractère crucial à la division du travail des différentes époques, et il est très difficile de l’inférer du mot « diviser », à savoir de l’idée ou de la catégorie.
Une autre réclamation de Proudhon est que tous les économistes depuis Adam Smith manifestent les avantages et les inconvénients de la division du travail, mais qu’ils se focalisent sur ses avantages parce que c’est plus utile, plus propice à leur optimisme. Aucun économiste ne comprend que cette loi de la division du travail peut produire les déficiences ou les résultats problématiques. Selon Proudhon, J. B. Say est le seul qui peut se rendre compte que la même cause qui crée le bien dans la division du travail engendre aussi le mal. En donnant un exemple d’Adam Smith à la réclamation de Proudhon selon laquelle Adam Smith n’a pas la moindre idée des défauts formés par la division du travail, Marx indique qu’Adam Smith en est clairement conscient, et que Lemontey, avant J.B. Say, souligne les conséquences négatives de la division du travail. De plus, dix-sept ans avant Adam Smith, Adam Ferguson analyse ce sujet dans un chapitre qui ne traite que de la division du travail.70 Donc, Marx déclare que cette réclamation de Proudhon n’est pas valide à cause de cela.
70 «Il y aurait lieu même de douter si la capacité générale d’une nation croît en proportion du progrès des arts. Plusieurs arts mécaniques…réussissent parfaitement lorsqu’ils sont totalement destitués du secours de la raison et du sentiment, et l’ignorance est la mère de l’industrie aussi bien que de la superstition. La réflexion et l’imagination sont sujettes à s’égarer : mais l’habitude de mouvoir le pied ou la main ne dépend ni de l’une ni de l’autre. Ainsi on pourrait dire que la perfection, à l’égard des manufactures,
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Marx examine comment Proudhon déduit de la division du travail comme une loi générale, comme une catégorie, comme une pensée, les inconvénients liés à la division du travail en demandant « comment se fait-il que cette catégorie, cette loi implique une répartition inégale du travail au détriment du système égalitaire de M. Proudhon »71. Marx commence par une citation de Proudhon : « À cette heure solennelle de la division du travail, le vent des tempêtes commence à souffler sur l’humanité. »72 Selon Proudhon, après cette heure, le progrès ne se forme pas de manière égale et uniforme pour tous. Premièrement, il comprend une minorité privilégiée. Du fait de la croyance que cette différence et cette inégalité entre les hommes en matière de progrès viennent de Dieu ou de la nature depuis longtemps, les castes se forment, qui hiérarchisent toutes les sociétés à travers les étapes. Marx évalue ce raisonnement problématique ; parce que la division du travail crée les castes d’abord, puis les castes engendrent les inconvénients de la division du travail. C’est donc la division du travail qui les produit. Marx le nomme comme « quod erat demonstrandum »73 c’est-à-dire comme « alors que c’est ce qu’il faut prouver ». Selon Marx, si l’on demande à Proudhon ce qui crée la division du travail, la réponse est le progrès, et si l’on demande ce qui fait le progrès, la réponse est la limitation. Ainsi, selon Proudhon, la limitation est la distinction entre les personnes en matière de progrès. « Après la philosophie vient l’histoire. Ce n’est plus ni de l’histoire descriptive ni de l’histoire dialectique, c’est de l’histoire comparée. »74 Selon Marx, Proudhon trouve une similitude entre l’imprimeur à leur époque et l’imprimeur du Moyen Âge ; entre un ouvrier d’une ville de France et un forgeron du village ; entre l’homme de lettres de leur époque et l’homme de lettres du Moyen
consiste à pouvoir se passer de l’esprit, de manière que sans effort de tète l’atelier puisse être considéré comme une machine dont les parties sont des hommes… L’officier général peut être très habile dans l’art de la guerre, tandis que tout le mérite du soldat se borne à exécuter quelques mouvements du pied ou de la main. L’un peut avoir gagné ce que l’autre a perdu… Dans une période où tout est séparé, l’art de penser peut lui-même former un métier à part. (A. Ferguson, Essai sur l’histoire de la société civile, Paris, 1783.) »
Ibid., p. 180.
71 Ibid., p. 181.
72 Ibid.
73 Ibid., p. 182.
74 Ibid.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 260.
Âge. Finalement, il fait pencher la balance plus ou moins en faveur de ceux qui appartiennent à la division du travail au Moyen Âge. Par conséquent, selon Marx, alors qu’il faut que Proudhon démontre les inconvénients de la division du travail comme une catégorie, il oppose la division du travail d’une époque historique à la division du travail d’une autre époque historique. Quoique Proudhon renonce plus tard toutes ces réclamations de développement, Marx continue à insister sur une critique de cet aspect de l’œuvre de Proudhon ; parce qu’il va faire « une simple observation à Proudhon »75 et cela même est aussi notre raison pour étudier cette œuvre de Marx.
Marx continue sa critique de Proudhon sur le fait de la dégradation de l’ouvrier par la division du travail. Selon Proudhon, la division du travail réduit l’ouvrier à une tâche dégradante ; une âme corrompue correspond à cette tâche dégradante ; cette détérioration de l’âme correspond à la réduction de plus en plus des salaires. Et pour prouver que cette réduction correspond à une âme corrompue, Proudhon affirme que la conscience universelle n’évalue pas de manière égale le travail d’un contremaître et le travail d’un goujat. Marx prétend que Proudhon déclare cela comme le veut la conscience universelle, afin d’apaiser sa conscience, et demande ironiquement si l’âme de Proudhon est une partie de la conscience universelle.
« Les machines sont, pour M. Proudhon, l’antithèse logique de la division du travail, et, à l’appui de sa dialectique, il commence par transformer les machines en atelier. »76 Marx expose cet argument fondamental de Proudhon pour le commencement de sa critique sur ce sujet. Pour faire de la misère le produit de la division du travail, Proudhon suppose premièrement l’atelier moderne et il suppose une misère formée par la division du travail pour arriver à l’atelier et il le manifeste comme la négation dialectique de cette misère. Proudhon dévalue l’ouvrier moralement avec la tâche dégradante, et il déprécie physiquement avec un salaire médiocre. Après avoir subordonné l’ouvrier au contremaître et réduit son travail à celui de goujat, ayant réduit l’ouvrier en lui donnant un patron il accuse l’atelier et les machines. Il complète cette humiliation en réduisant l’ouvrier du niveau de l’artisan au niveau de l’ouvrier ordinaire. Et Proudhon n’a plus besoin d’une nouvelle histoire
75 Ibid., p. 186.
76 Ibid., p. 184.
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de la division du travail pour inférer des contradictions. Mais il en a besoin pour la construction de son style. Selon Marx, pour atteindre cet objectif, Proudhon doit oublier complètement ce qu’il déclare auparavant sur la division du travail. Selon Marx, le travail est organisé de différentes manières selon les outils disposés et il se divise aussi selon eux. Le moulin à main suppose une division du travail différente de celle du moulin à vapeur. La succession qui arrive aux machines par le travail et qui arrive au travail par la division du travail est une sorte d’ignorance de l’histoire. Comme les bœufs tirant la charrue, les machines ne constituent pas une catégorie économique. Les machines ne sont que le pouvoir productif. L’atelier contemporain est fondé sur l’application des machines et il est enfin une relation sociale de production et une catégorie économique. Mais, selon Proudhon, l’invention continuelle des machines dans la société est l’antithèse de la division du travail, à savoir sa formule inverse. « C’est la protestation du génie industriel contre le travail parcellaire et homicide. »77 La machine est un moyen de combiner les différentes branches de travail que la division du travail sépare les uns des autres. Chaque machine peut être définie comme un résumé de plusieurs processus. La machine renouvelle ultérieurement l’ouvrier. La machine, qui est le contraire de la division du travail dans l’économie politique, représente la synthèse, qui est le contraire de l’analyse dans l’esprit humain. La division ne fait que séparer les diverses parties du travail. Chacune de ces parties devient les domaines d’expertise pour se consacrer aux plus appropriés. L’atelier rassemble les ouvriers en groupes selon la pertinence de chaque partie par rapport à l’ensemble du travail. Il apporte le principe d’autorité au travail. La machine ou l’atelier, après avoir déclassé l’ouvrier en lui donnant un patron, achève son avilissement en le dégradant du niveau de l’artisan au niveau de la médiocre manœuvre. L’époque des machines se distingue par une caractéristique particulière, c’est le salariat. Le salariat est la conséquence qui suit la division du travail et son échange. Selon Marx, ce sont les arguments de Proudhon sur ce sujet.
Marx commence son analyse de Proudhon à ce sujet par une simple observation à lui. Ce n’est que dans l’industrie moderne, sous le régime de la concurrence, qu’il existe de séparer les différentes parties de l’entreprise et la possibilité de consacrer chacune à son domaine d’expertise le plus approprié. Selon Marx, Proudhon remonte l’histoire
77 Ibid., p. 185.
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de cette séparation au commencement du monde. Proudhon essaie de former une généalogie pour la démonstration comment naissent l’atelier de la division du travail et le salariat de l’atelier. Par cela, il présuppose un homme qui prend conscience de ce que les pouvoirs de production augmentent par la division de la production en ses différentes parties et en faisant exécuter chacune de ces parties par un ouvrier différent. Deuxièmement, cet homme qui comprend cette transition de la pensée pense qu’une production continuelle est possible en constituant un groupe permanent d’ouvriers choisis pour cet objectif précis. Troisièmement, cet homme propose aux autres pour faire accepter sa pensée et la chaîne de cette pensée. Quatrièmement, au commencement de l’industrie, cet homme aussi travaille comme ses compagnons qui deviennent plus tard ses propres ouvriers. Cinquièmement, cette égalité initiale à l’égard du travail est néantisée à l’égard de la faveur de statut supérieur du patron et de dépendance du salariat. Marx examine ce qu’est l’atelier ou les machines, par suite de la division du travail, il analyse réellement la société pour savoir s’il y a le principe d’autorité ou pas, si cela développe réellement l’ouvrier en le subordonnant à l’autorité d’autrui. Et enfin, il analyse historiquement et économiquement la validité de la réclamation de Proudhon selon laquelle la machine est une recomposition du travail divisé et une synthèse du travail contrairement à une analyse du travail.
Marx commence ainsi son contre-argument : la société et la structure interne de l’atelier ont un aspect commun, c’est la division du travail c’est-à-dire qu’il y a la division du travail dans les deux. Si la division du travail dans un atelier contemporain est prise comme un modèle d’application à toute une société, la société la mieux organisée sur le plan de production de richesses va avoir un seul employeur qui répartit les tâches selon une règle prédéterminée entre les citoyens. Mais ce n’est pas la circonstance. Dans l’atelier contemporain, la division du travail est minutieusement réglée par l’autorité de l’employeur. Mais, dans la répartition du travail dans la société contemporaine, il n’y a pas d’autre règle que l’autorité de la libre concurrence. Dans le système patriarcal, le système des castes, le féodalisme et l’ordre des corporations, il y a une division du travail selon des règles immuables dans la société dans son ensemble et ces règles ne sont pas édictées par un législateur. Les conditions de la production matérielle se forment ces règles et elles ne sont pas dans le statut de loi que bien plus tard. Ces différentes formes de division du travail deviennent ainsi les fondements de l’organisation sociale. Il n’y a pas du développement
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significatif de la division du travail dans les ateliers dans toutes ces formes de société. En effet, moins l’autorité gouverne la division du travail dans la société, plus la division du travail au sein de l’atelier se développe, et plus cette division du travail est subordonnée à l’autorité d’une seule personne. Ainsi, l’autorité dans l’atelier et l’autorité dans la société sont-elles inversement proportionnelles l’une à l’autre en ce qui concerne la division du travail.
La situation où les travaux sont extrêmement séparés les uns des autres et la tâche de chaque ouvrier est réduite à une fonction très simple, la forme de l’atelier que l’autorité (c’est-à-dire le capital) dirige le travail en groupant et la naissance de cet atelier, se comprennent seulement par l’analyse de l’évolution de l’industrie manufacturière. Marx y mentionne l’industrie qui n’est pas encore l’industrie moderne avec des machines, ni l’industrie des artisans médiévaux ni l’industrie domestique pour manifester que l’histoire ne se fait pas avec des formules. L’une des conditions les plus indispensables de l’industrie manufacturière est l’accumulation du capital qui est facilitée par la découverte de l’Amérique et par l’importation des métaux précieux. L’accroissement des moyens d’échange cause, d’une part, la diminution des salaires et de la rente foncière, d’autre part, l’accroissement des profits industriels. Donc, autant la classe possédante et la classe des ouvriers, les seigneurs et le peuple tombent, autant s’élève la classe des capitalistes, la bourgeoisie. Il y a d’autres conditions qui contribuent simultanément au développement de l’industrie manufacturière : l’augmentation des marchandises circulant à partir du moment où le commerce pénètre dans les Indes orientales par le cap de Bonne-Espérance ; le système colonial ; le développement du commerce maritime… Un autre point de l’histoire de l’industrie manufacturière, au quinzième et au seizième siècle, juste avant la naissance des ateliers, il y a un vagabondage à cause du licenciement des nombreuses suites des seigneurs féodaux parce que ses membres subalternes deviennent des vagabonds.
Les progrès de la transformation des champs en pâturages et de l’agriculture qui ont réduit le nombre des paysans nécessaires pour jusqu’à la terre causent l’immigration de la campagne vers les villes. Cela soutient aussi l’atelier. L’étendue du marché, l’accumulation du capital, les changements dans la position sociale des classes, la privation de sources de subsistance pour une grande masse sont les conditions
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historiques préalables à la fondation de la manufacture. Donc, ce ne sont pas, comme le prétend Proudhon, des accords amicaux entre égaux qui rassemblent les hommes dans des ateliers, à savoir des manufactures.
Les anciennes corporations ne sont pas le point de commencement pour les manufactures. C’est le marchand, et non l’ancien maître de corporation, qui a repris les ateliers modernes dans lesquels il est un chef. « Presque partout, il y a eu une lutte acharnée entre la manufacture et les métiers. »78 L’accumulation d’outils et d’ouvriers devance le développement de la division du travail au sein de l’atelier. La manufacture consiste en l’assemblage de nombreux ouvriers et de nombreux métiers dans un même endroit et sous l’ordre d’un seul capital, plutôt que l’analyse du travail et le confinement d’un ouvrier particulier à une tâche simple. L’avantage de l’atelier n’est pas la division du travail, mais la plus grande échelle du travail, l’exemption de nombreuses dépenses inutiles. À la fin du seizième siècle et au début du dix-septième siècle, la division du travail ne gagne pas du terrain encore dans la manufacture hollandaise. Le développement de la division du travail exige la réunion des ouvriers dans un atelier. Par exemple, au seizième ou au dix-septième siècle, il n’y a pas un seul exemple qui montre que les branches différentes d’un même métier sont rassemblées assez séparément pour la réunion en un endroit pour former un atelier. Mais une fois les hommes et les outils réunis, la division du travail se forme dans l’atelier, telle qu’elle était auparavant sous forme de corporations. Selon Proudhon, la division du travail, au sens d’Adam Smith, précède l’atelier. Mais, la situation est inversée, l’atelier est la condition d’existence de la division du travail.
La naissance des machines est à la fin du dix-huitième siècle. Selon Marx, il est déraisonnable de considérer les machines comme l’antithèse de la division du travail ou comme la synthèse qui restitue l’unité au travail divisé ; parce que c’est le contraire, la machine est fondamentalement une unification des outils de travail. Ce n’est pas un moyen de regrouper les diverses fonctions de l’ouvrier. Le progrès des machines suit cette succession : les outils simples, l’unification et l’empilement des outils, les outils composés, l’actionnement d’un outil composé par une simple machine à main, l’actionnement de ces outils par les forces des machines de la nature, le système de machines avec un
78 Ibid., pp. 190-191.
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moteur, le système de machines à moteur automatique. La concentration des moyens de production et la division du travail sont indissociables, comme la division du pouvoir public et des intérêts personnels dans la politique. En Angleterre, la terre comme un moyen de production du travail agricole est possédée par quelques propriétaires et il y a aussi la division du travail agricole et l’application des machines à la culture de la terre. Mais en France, les moyens sont divisés et il y a des petits propriétaires, il n’y a généralement ni division du travail dans l’agriculture ni application des machines à la terre. Selon Proudhon, l’accumulation des outils de travail est la négation de la division du travail. Pour Marx, cependant, c’est le contraire qui est vrai. La concentration de l’accroissement d’outils se fait simultanément avec le développement de la division du travail et vice-versa. C’est pourquoi les grandes inventions mécaniques sont suivies d’une plus intensive division du travail, et tout accroissement de la division du travail conduit aux inventions mécaniques.
Le grand progrès pour la division du travail commence en Angleterre après l’invention des machines. À cette époque, la majorité des tisserands et des fileurs sont des paysans. L’invention des machines entraîne la séparation de l’industrie manufacturière de l’industrie agricole. Les machines séparent le tisserand et le fileur, qui sont en une seule famille. Dans la condition crée par les machines, le fileur peut vivre en Angleterre, tandis que le tisserand fleurit dans les Indes orientales. Avant l’invention des machines, l’industrie d’un pays reposait essentiellement sur des matières premières qui étaient produites de la terre nationale comme la laine en Angleterre, le lin en Allemagne, la soie et le lin en France, le coton au Moyen-Orient, etc. Par l’application des machines (et surtout la vapeur) à la production, la division du travail se développe sérieusement et elle devient désormais indépendante aux frontières nationales. La grande industrie est fondée sur le marché mondial, les échanges internationaux, une division internationale du travail. Les machines ont une si grande influence sur la division du travail que dans la fabrication d’un produit, si on trouve un moyen d’en produire des parties au moyen des machines, la fabrication se scinde aussitôt en deux ateliers indépendants.
Marx critique également le but philanthropique et providentiel que Proudhon découvre dans l’invention et les premières applications des machines. Les machines sont désormais nécessaires lorsque
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le marché en Angleterre se développe au point où le travail manuel ne suffit plus. L’idée d’application de la science de la mécanique développée au dix-huitième siècle devient importante. Contrairement à Proudhon, l’atelier automatique commence par des actions non philanthropiques. Les enfants travaillent sous le fouet. Ces enfants deviennent un objet de commerce et il y a des accords avec les orphelinats à l’égard du travail des enfants. Toutes les lois concernant la période d’apprentissage des ouvriers sont abolies. Il n’y a plus besoin d’ouvriers talentueux, à savoir d’ouvriers synthétiques selon les mots de Proudhon. Et enfin, à partir de 1825, presque toutes les inventions créent les conflits entre l’ouvrier et l’entrepreneur ; celui-ci cherche à tout prix à réduire la capacité spécialisée de l’ouvrier. Après chaque grève importante, une nouvelle machine se met en marche. Pendant très longtemps au dix-huitième siècle, les ouvriers résistent à cette nouvelle domination de l’automation parce qu’ils ne sont pas remis à l’honneur dans l’application des machines, c’est-à-dire qu’ils ne voient pas « une espèce de réhabilitation », à savoir, selon les termes de Proudhon, de « restauration ».79
Par la suite de l’introduction des machines, l’accroissement de la division du travail dans la société se réalise, la tâche de l’ouvrier dans l’atelier s’est simplifiée, le capital s’est concentré et l’homme est dépecé davantage.
Selon Marx, lorsque Proudhon veut abandonner pour un moment « l’évolution dans la série de l’entendement »80, il cite Adam Smith, lors d’une époque où les ateliers automatiques se forment justement ; mais en effet, il y a une grande différence entre la division du travail à l’époque d’Adam Smith et la division du travail dans l’atelier automatique ; parce qu’à l’époque d’Adam Smith le système industriel automatisé est peu connu. Ainsi Adam Smith considère-t-il la division du travail comme le principe fondamental des améliorations dans la production. Marx cite longuement Andrew Ure à ce propos.81 Dans cet
79 Ibid., p. 195.
80 Ibid., p. 196.
81 Andrew Ure est chimiste et économiste écossais (1778-1857), Marx cite plusieurs fois l’œuvre Philosophie des manufactures d’Ure dans ses œuvres et dans Le Capital, il écrit comme suit : « Ure, qui est le Pindare de la fabrique automatique ».
Karl Marx, Le Capital, Critique de l’économie politique, Quatrième édition allemande, Livre Premier, le Procès de Production du Capital, ouvrage
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 267.
extrait, en résumé, Ure déclare ce qui suit à propos de la division du travail :
Adam Smith explique, avec un donnant l’exemple de la fabrication d’épingles, comment chaque artisan, étant ainsi en mesure de se perfectionner par la pratique en un point, devient un ouvrier plus rapide et moins cher. Dans chaque branche de fabrication, il vit que certaines pièces étaient, d’après ce principe, d’exécution facile, comme la coupe des fils d’épingle en longueurs uniformes, et certaines étaient relativement difficiles, comme la formation et la fixation de leurs têtes ; et par conséquent, il a conclu qu’à chacun des ouvriers, une valeur et un coût appropriés était naturellement assignés.82
Mais ce qui était à l’époque du Dr. Smith un sujet d’illustration utile, ne peut maintenant être utilisé sans risque d’induire l’esprit public en erreur quant au bon principe de l’industrie manufacturière. En fait, la division, ou plutôt l’adaptation du travail aux différents talents des hommes est peu envisagée dans le plan d’opération des manufactures automatiques. Au contraire, partout où un processus exige une dextérité particulière et une fermeté de main, celui-ci est retiré dès que possible de l’ouvrier rusé, qui est sujet à des irrégularités de toutes sortes, et il assume la charge d’un mécanisme particulier, si autoréglementé, que même un enfant peut le surveiller.83
Le principe du système automatique consiste alors à substituer à l’habileté manuelle la science mécanique, et la division d’un processus en ses constituants essentiels, à la division ou à la graduation du travail parmi les artisans. Selon le système de l’opération manuelle, la main-d’œuvre plus ou moins qualifiée était généralement l’élément le plus dispendieux de la production.84 Mais sur le plan automatique, la main-d’œuvre qualifiée est progressivement supplantée et sera remplacée à terme par de simples surveillants des machines.85
publié sous la responsabilité de Jean-Pierre Lefebvre, Paris : Presses Universitaires de France, 1993, p. 470.
82 Andrew Ure, The Philosophy of Manufactures, London : Charles Knight, 1835, p. 19.
83 Ibid.
84 Ibid., p. 20.
85 Ibid.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 268.
C’est, en fait, le but constant et la tendance de toute amélioration des machines à supplanter entièrement le travail humain, ou à diminuer son prix, en substituant l’industrie des femmes et des enfants à celle des ouvriers adultes ; ou le travail d’ouvriers grossiers, pour les artisans habiles.86 Cette tendance à n’employer que des enfants aux yeux attentifs et aux doigts agiles, au lieu de compagnons de longue expérience, manifeste comment le dogme scolastique de la division du travail en degrés de compétence a enfin été exploité par les manufacturiers éclairés.87
Selon Marx, ce qui caractérise la division du travail dans la société moderne, c’est qu’elle engendre des tâches spécialisées, des spécialistes, et avec eux l’idiotisme du métier. Ce qui caractérise la division du travail dans l’atelier automatique, c’est que le travail n’a pas de caractère spécialisé. « Mais du moment que tout développement spécial cesse, le besoin d’universalité, la tendance vers un développement intégral de l’individu commence à se faire sentir. » L’atelier automatique détruit les spécialistes et l’idiotisme du métier.
Selon Marx, Proudhon ne comprend pas cet aspect révolutionnaire de l’atelier automatique et finalement, il prend du recul et propose à l’ouvrier de fabriquer entièrement une épingle, au lieu d’une partie d’épingle. Proudhon le nomme comme le travail synthétique et en effet, cette proposition n’est ramenée qu’au maître artisan du Moyen Âge, rien de plus.
Marx cite Lemontey sur la division sociale du travail, où il y a une référence aux anciens. Nous concluons cette section sur misère de la philosophie par cette citation suivante :
« Nous sommes frappés d’admiration, dit Lemontey, en voyant parmi les anciens le même personnage être à la fois, dans un de-gré éminent, philosophe, poète, orateur, historien, prêtre, admi-nistrateur, général d’armée. Nos âmes s’épouvantent à l’aspect d’un si vaste domaine. Chacun plante sa haie et s’enferme dans son enclos. J’ignore si par cette découpure le champ s’agrandit mais je sais bien que l’homme se rapetisse. »88
86 Ibid., p. 23.
87 Ibid., p. 23.
88 Karl Marx, Misère de la Philosophie…, p. 200.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 269.
6. Le modèle de la conception de division du travail inféré des œuvres de jeunesse de Marx et Engels
Dans son œuvre intitulée Principes du communisme qui contient vingt-cinq questions et réponses, Engels mentionne le rôle de la division du travail d’abord dans la naissance du prolétariat. Selon Engels, le prolétariat est né à la suite de la révolution industrielle qui commence par l’invention des machines. Ces machines sont achetées par les gros capitalistes, ce qui a changé le mode de production. Ils éliminent les anciens artisans à cause de la production des marchandises moins chers et de meilleure qualité que ceux-ci. Donc, ces machines causent la subordination entière de l’industrie aux grands capitalistes et ils dévalorisaient le peu de propriétés des ouvriers comme des outils, métiers à main, etc. C’est ainsi que le système de l’usine introduit la fabrication de vêtements et il diffuse rapidement dans d’autres branches de l’industrie, notamment dans le tissage et l’impression du coton, dans l’industrie de la poterie et de la métallurgie. La division du travail se réalise, de plus en plus, entre les ouvriers individuels, de sorte que l’ouvrier qui fabrique autrefois un produit entier désormais n’en produit plus qu’une partie. Cette division du travail permet d’une production plus vite et donc moins cher. Cela réduit la fonction de chaque ouvrier à une opération mécanique très simple et répétitive qu’une machine pourrait faire non seulement au même niveau de compétence, mais bien mieux que les ouvriers. C’est ainsi que toutes ces branches d’industrie, comme la filature et le tissage, acceptent de plus en plus la domination de la vapeur, de la machine et du système d’usine. L’industrie artisan, comme les manufactures, admet progressivement la subordination du système d’usine, parce que les grands capitalistes remplacent graduellement les petits producteurs indépendants par la formation des grands ateliers. Ces ateliers réduisent les prix de la production et ils rendent possible une division du travail très intensive. Donc, les anciennes classes moyennes, en particulier les petits producteurs indépendants comme les artisans, sont éliminées et les anciennes positions des ouvriers sont complètement modifiées. Finalement, deux nouvelles classes se forment, qui englobent progressivement toutes les autres classes : la classe des gros capitalistes et la classe des prolétaires.
Engels met au jour la division du travail une deuxième fois, quand il mentionne les conséquences de la suppression de la propriété privée. Selon lui, « l’existence des classes est provoquée par la division du
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travail. Dans la nouvelle société, la division du travail, sous ses anciennes formes, disparaîtra complètement. »89 La production industrielle et agricole seule ne suffit pas au niveau de la nouvelle société qui peut produire suffisamment de produits pour pouvoir et qui peut organiser la distribution pour que les besoins de tous ses membres puissent être satisfaits, les capacités du peuple doivent également être développées. Les paysans et les ouvriers de manufacture ont complètement changé leur mode de vie et ils sont devenus les personnes différentes à cause de la grande industrie.
La production commune par l’ensemble de la société et le nouveau développement de la production exigent également des personnes différentes et ils les créent. La production commune ne peut être accomplie par les hommes qui sont attachés, enchaînés et exploités par une seule branche de la production dont chacun n’a développé qu’un seul de ses talents au détriment de tous ses autres. L’industrie exercée en commun, selon un plan par l’ensemble de la société suppose des hommes de développement complet capables de comprendre l’ensemble du système de production. Ainsi la division du travail qui fait d’un homme un paysan, d’un autre un cordonnier, d’un troisième un ouvrier d’usine, d’un quatrième un spéculateur à la Bourse, disparaîtra-t-elle complètement. Les machines ont déjà commencé cette élimination. L’éducation permettra aux jeunes de comprendre tout le système de production, elle leur permettra de changer une branche d’industrie à une autre selon les besoins de la société ou leurs propres penchants. Donc, cela exclura complètement l’unilatéralité que la division actuelle du travail formée. Ainsi, l’abolition de la division du travail donne-t-elle la possibilité d’une activité complète des capacités qui se développent complètement.
Dans le premier chapitre intitulé « Bourgeois et prolétaires » du Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels mentionnent la division du travail à l’égard du travail des prolétaires comme suit : le caractère autonome et l’attrait du travail des prolétaires sont perdus à cause de la diffusion de la machinerie et de l’accroissement de la division du travail. Le prolétaire devient une étendue de la machine qui exige un geste le plus simple, le plus uniforme, le plus facile à apprendre. Le coût de l’ouvrier devient égal aux moyens de subsistance nécessaires à sa vie
89 Frédéric Engels, Principes du Communisme, traduction et préface de Marcel Ollivier, Paris : Bureau D’Éditions, 1928, p. 27.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 271.
et à la reproduction de son espèce. Alors que le prix d’une marchandise, et donc le prix du travail, est égal au coût de production de cette marchandise. Par conséquent, à mesure que l’aversion pour le travail augmente, le salaire du travailleur diminue. De plus, à mesure que la machinerie et la division du travail se développent, la quantité de travail augmente proportionnellement, que ce soit en raison du prolongement des heures de travail ou de l’augmentation du travail requis dans le même temps de travail, de l’accélération de fonctionnement des machines.90
Nous arrivons donc au terme de notre étude des œuvres de jeunesse de Marx et Engels91 dans le contexte de la division du travail. Ils continuent à développer les arguments dans leurs œuvres de jeunesse jusqu’à leurs dernières œuvres. Ils construisent leur approche du thème de la division du travail sur les principaux arguments de ces travaux. Donc, il est possible de déduire un modèle des arguments qu’ils ont avancés jusqu’ici sur la division du travail. Quoique nous ne trouvions pas convenable de citer ces arguments sans leurs explications, nous résumons ce modèle le plus brièvement possible afin de revenir à notre sujet et à notre problématique :
Il n’est pas convenable de considérer la division du travail comme point de départ. Si elle est considérée comme cela, elle sera une prémisse des bases arbitraires ou un dogme scolastique. « Les bases réelles dont on ne peut faire abstraction qu’en imagination … sont les individus réels, leur action et leurs conditions d’existence matérielles. »92 La division du travail se forme à la suite de l’accroissement de la population. L’accroissement de la population est la base de l’accroissement de la productivité et l’augmentation des besoins, dans les tribus.
Ainsi se développe la division du travail qui n’était pas primiti-vement autre chose que la division du travail dans l’acte sexuel, puis devint la division du travail qui se fait d’elle-même ou « par nature » en vertu des dispositions naturelles (vigueur corporelle par exemple), des besoins, des hasards, etc.93
90 Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome I, Moscou : Editions du Progres, 1955, pp. 28-29.
91 En général, celles jusqu’en 1846 sont considérées comme des œuvres de jeunesse, nous avons examiné celles jusqu’en 1848.
92 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 45.
93 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande…, p. 60.
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La division naturelle du travail au sein de la famille implique « la répartition du travail et de ses produits, la distribution inégale en vérité tant en quantité qu’en qualité », propriété « dans la famille où la femme et les enfants sont les esclaves de l’homme. L’esclavage certes encore très rudimentaire et latent dans la famille est la première propriété. »94 La « division du travail et propriété privée sont des expressions identiques — on énonce, dans la première, par rapport à l’activité ce qu’on énonce, dans la seconde, par rapport au produit de cette activité ». 95 À chaque stade de développement de la division du travail correspond une forme différente de propriété. 96 « Chaque nouveau stade de la division du travail détermine également les rapports des individus entre eux pour ce qui est de la matière, des instruments et des produits du travail. »97 « La division du travail ne devient effectivement division du travail qu’à partir du moment où s’opère une division du travail matériel et intellectuel. »98 « La plus grande division du travail matériel et intellectuel est la séparation de la ville et de la campagne. »99 « Tandis que l’antiquité partait de la ville et de son petit territoire, le moyen âge partait de la campagne. »100 Les seigneurs féodaux et les serfs sont aux campagnes et cependant, les artisans et des compagnons (et les apprentis) sont organisés en corporation dans les villes.101 De la troisième division du travail, correspondant à la troisième forme de propriété, la propriété féodale ou la propriété par ordres, naît une classe nommée les commerçants qui s’occupent seulement de l’échange, non de production.102 Par « la constitution d’une classe particulière qui se
94 Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande…, p. 61.
95 Ibid.
96 Engels examine ces stades dans son œuvre intitulée L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État
97 Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande…, p. 47.
98 Ibid., p. 60.
99 Ibid., pp. 80-81.
100 « La population existante, clairsemée et éparpillée sur une vaste superficie et que les conquérants ne vinrent pas beaucoup grossir, conditionna ce changement de point de départ. »
Ibid., p. 48.
101 Ibid., pp. 82-83.
102 Ibid., p. 83.
« Une troisième division du travail… crée une classe qui ne s’occupe plus de la production, mais uniquement de l’échange des produits, — les marchands. »
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 273.
livrait au commerce » et par « l’extension du commerce au-delà des environs immédiats de la ville grâce aux négociants », « les villes entrent en rapport entre elles ».103 « Ce n’est que très lentement que la classe bourgeoise se forma à partir des nombreuses bourgeoisies locales des diverses villes. »104 « La division du travail entre les différentes villes eut pour première conséquence la naissance des manufactures, branches de la production échappant au système corporatif. »105 « Ce n’est pas même dans le sein des anciennes corporations que la manufacture a pris naissance. Ce fut le marchand qui devint chef de l’atelier moderne, et non pas l’ancien maître des corporations. »106 « Le développement de la division du travail suppose la réunion des travailleurs dans un atelier. »107 L’atelier est la condition d’existence de la division du travail.108 « La société tout entière a cela de commun avec l’intérieur d’un atelier, qu’elle aussi a sa division du travail. »109 Mais, « tandis que dans l’intérieur de l’atelier moderne la division du travail est minutieusement réglée par l’autorité de l’entrepreneur, la société moderne n’a d’autre règle, d’autre autorité, pour distribuer le travail, que la libre concurrence. »110 « À mesure que la concentration des instruments se développe, la division se développe aussi, et vice versa. Voilà ce qui fait que toute grande invention dans la mécanique est suivie d’une plus grande division du travail, et chaque accroissement dans la division du
Karl Marx, Friedrich Engels, Œuvres Choisies en deux volumes : Tome II, Moscou : Editions du Progres, 1955, p. 266.
103 Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande…, p. 83-92.
104 Ibid., p. 92.
105 Ibid., p. 84.
106 Karl Marx, Misère de la philosophie…, p. 190.
107 « L’accumulation et la concentration d’instruments et de travailleurs précéda le développement de la division du travail dans l’intérieur de l’atelier. »
Ibid., p. 191.
108 « Pour M. Proudhon, la division du travail dans le sens d’Adam Smith, précède l’atelier, qui en est une condition d’existence. »
Ibid., p. 192.
109 Ibid., pp. 187-189.
110 Ibid., p. 188.
« Alors que la division du travail dans l’ensemble d’une société, qu’elle soit médiatisée ou non par l ‘échange de marchandises, est le fait des formations économico-sociales les plus diverses, la division manufacturière du travail est une création totalement spécifique du mode de · production capitaliste. »
Karl Marx, Le Capital…, p. 404.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 274.
travail amène à son tour des inventions mécaniques. »111 « Les grands progrès de la division du travail ont commencé en Angleterre après l’invention des machines. »112 En Angleterre, par suite de l’invention de Jenny qui est une machine à filer le coton, la division du travail entre le tissage et le filage est premièrement appliquée dans la manufacture et elle permet la diffusion à toutes les branches de l’industrie.113 Le prolétariat naît de l’introduction du machinisme.114 La division du travail dans la manufacture a des effets irréparables sur l’ouvrier (surtout les ouvriers enfants et femmes), tant physique qu’intellectuel. Avec le système d’usine, les ouvriers ont été complètement dépossédés et sont devenus des prolétaires et sont condamnés à travailler pour de l’argent. Puisque les hommes ne travaillent pas volontairement.115 Leur propre travail, les produits de leur travail, le processus de production, les autres personnes en raison de la concurrence et le genre (leur propre espèce) les confrontent comme un pouvoir étranger.116 L’élimination de l’aliénation n’est possible qu’avec l’abolition de la division du travail dans l’activité, c’est-à-dire la propriété privée dans le produit. Cela signifie également l’élimination du travail lui-même117, à savoir « la transformation du travail en activité libre »118(Selbstbethätigung : autoactivité, manifestation de soi, réalisation de soi) 119.
111 Karl Marx, Misère de la philosophie…, p. 193.
112 Ibid.
113 Friedrich Engels, Die Lage der arbeitenden Klasse in England, Stuttgart : Dietz ,1892, p. 4-5.
114 Ibid., p. 15.
115 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemand…, p. 63.
116 Karl Marx, Manuscrits de 1844…, pp. 55-70.
117 « la classe devient à son tour indépendante à l’égard des individus, de sorte que ces derniers trouvent leurs conditions de vie établies d’avance, reçoivent de leur classe, toute tracée, leur position dans la vie et du même coup leur développement personnel; ils sont subordonnés à leur classe. C’est le même phénomène que la subordination des individus isolés à la division du travail et ce phénomène ne peut être supprimé que si l’on supprime la propriété privée et le travail lui-même. »
118 Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemand…, p. 93.
Ibid., p. 104.
119 « die Verwandlung der Arbeit in Selbstbethätigung: »
Karl Marx, Friedrich Engels, Joseph Weydemeyer, Marx-Engels-Jahrbuch 2003…, p. 91.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 275.
Ce modèle, que l’on peut résumer par ces arguments, est répété, développé, et parfois rétrospectivement corrigé et critiqué dans divers contextes120, depuis les œuvres de jeunesse de Marx et Engels jusqu’à leurs dernières œuvres. Ils sont souvent présentés comme des contre-arguments contre les penseurs, l’économie politique et les idéologues. Il est évident que ces arguments nous donnent l’occasion de commencer à partir de ces œuvres et d’analyser les processus de développement de leurs pensées, notamment dans le contexte philosophique, mais nous ne prétendons pas qu’un modèle complet lié à la division du travail puisse être inféré par ceux-ci. Ce modèle, que l’on peut résumer par ces arguments, est répété, développé, et parfois rétrospectivement corrigé et critiqué dans divers contextes, depuis les œuvres de jeunesse de Marx et Engels jusqu’à leurs dernières œuvres. Ils sont souvent présentés comme des contre-arguments contre les penseurs, l’économie politique et les idéologues. Il est évident que ces arguments nous donnent l’occasion de commencer à partir de ces œuvres et d’analyser les processus de développement de leurs pensées, notamment dans le contexte philosophique, mais nous ne prétendons pas qu’un modèle complet lié à la division du travail puisse être inféré par ceux-ci. Par exemple, Marx se focalise sur la relation de la division du travail et l’échange dans Grundrisse. Encore une fois, la relation entre la division du travail et la marchandise s’exprime très clairement dans le premier livre du Capital. Il est assez difficile de les inférer directement des œuvres de jeunesse. Mais, par rapport à notre question qui est de savoir si les deux approches sur la division du travail (celle de Platon et celle de Marx et Engels) peuvent être considérées comme radicalement opposées, ce modèle sera suffisant pour une analyse par rapport à notre sujet. Du reste, nous pouvons ajouter que Marx et Engels ne restent pas indifférents à la division du travail dans l’histoire de la philosophie : ils écrivent sur les approches des philosophes que nous avons auparavant examinées dans cette étude. Dans son œuvre intitulé Manuscrits de 1861-1863, contribution à la critique de l’économie politique, Marx examine la coopération, la division du travail et la machinerie sous le titre de La Survaleur Relative 121 et il suivit la même succession dans
120 Par exemple, Marx et Engels changent plus tard leur idée de l’évolution des structures de la propriété, en déterminant que cette évolution est seulement valable pour l’Europe occidentale et ils mettent le jour le mode de production asiatique.
121 Karl Marx, Frederick Engels, Collected Works : Volume 30, Marx 1861-63, Lawrence & Wishart, 2010, pp. 233-347.
Seçkin, A. Y. (2023). La division du travail dans l’histoire de la philosophie. Paradigma Akademi. p. 276.
Le Capital. Dans les Manuscrits 1861 – 1863, Marx cite directement Xénophon, Platon et Adam Smith à ce sujet dans le chapitre nommé Division du travail122 et il les critique dans Le Capital123. De même, Engels utilise les mêmes arguments dans son œuvre Anti-Duhring et il ajoute une référence à Aristote non sur le sujet de la division du travail, mais sur la distinction entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. Nous avons étudié les philosophes et leurs œuvres au point de vue du contexte de la division du travail dans l’histoire de la philosophie, autant que possible, dans leur intégralité, à moins qu’ils ne se réfèrent à d’autres, afin d’en exposer explicitement leurs approches de la division du travail. Une lecture de ces ouvrages dans le contexte de la division du travail dans l’histoire de la philosophie déjà signifie de les évaluer sous une interprétation. Pour ces raisons, il est plus approprié d’examiner ces parties des œuvres de Marx et Engels qui contiennent leurs interprétations des autres philosophes dans la partie de la conclusion.
122 Ibid., pp. 264-305.
123 Karl Marx, Frederick Engels, Collected Works : Volume 35, Karl Marx – Capital Volume I, Lawrence & Wishart, 2010, pp. 364-373.